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midée à la vue de ces vastes dépôts, s’en écarte avec un respect mêlé de crainte et s’abstienne un peu trop scrupuleusement des trésors qu’ils renferment[1] ? » Il rend hommage à toute cette science, comme à une vénérable personne qu’on salue profondément, mais de loin ; et il passe.

Toutefois, parmi ces vieilles choses austères, où la discrétion était de circonstance, il y en avait une d’un intérêt encore présent, qui convenait aux mœurs galantes de l’époque et à un auditoire « en grande partie composé du beau sexe[2]. » Sainte-Palaye avait publié un ouvrage sur la chevalerie. C’était une bonne fortune pour Ghamfort. Il s’en empara et en fit le centre de sa harangue. Il parla des chevaliers, des dames, des tournois, des cours d’amour. Il cita la devise : Toutes servir, toutes honorer pour l’amour d’une. Il rappela, d’après Louis de Bourbon, « que tout l’honneur de ce monde vient des dames. » Il déclara que l’honneur et l’amour, c’est « l’histoire des chevaliers et c’est celle de France. » Il devait plaire ; malgré quelques réserves, il plut. L’assistance était nombreuse, les réceptions académiques ayant beaucoup de vogue ; puis, le nouvel élu par son esprit, son talent de causeur, s’était acquis une grande réputation dans toutes les sociétés mondaines ; on le savait l’un des hommes les plus brillans de Paris. On accourut pour lui faire honneur, La cour elle-même fut représentée à la séance ; le prince de Condé y vint avec toute sa maison[3]. C’était comme l’une des dernières fêtes de l’aristocratie française.

Quels qu’aient été l’éclat de cette réception et le succès de l’orateur, la prose de Chamfort nous paraît médiocre aujourd’hui, plutôt ennuyeuse. Surtout, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que ce discours d’un futur ennemi des traditions est exactement taillé sur le modèle traditionnel. Même fidélité que dans tous les autres aux lois du genre ; même respect des formes et des convenances académiques. On y retrouve les lieux communs ordinaires, les éloges obligés. Chacun des grands protecteurs est salué d’une phrase ou d’un paragraphe. Richelieu, le chancelier Séguier, Louis XIV reçoivent tour à tour leur tribut

  1. On trouvera le discours de Chamfort dans l’édition Auguis, I, p. 221 et suivantes.
  2. Les renseignemens sur cette séance de réception (19 juillet 1781) sont tirés de la Correspondance secrète politique et littéraire, XI, p. 379-380 (éd. de 1788).
  3. Il avait eu Chamfort comme secrétaire de ses commandemens.