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Hanoum. « Ahmed-Riza bey, disait-on, est un athée, un giaour. Il veut supprimer le fez national, imposé par le sultan Mahmoud aux bons musulmans, et il prétend traverser le pont de Galata, avec un chapeau cylindre sur la tête… Quant à sa sœur Selma, c’est une femme sans pudeur, qui exhorte les dames turques à quitter le voile… Elle a commandé, à Paris, mille chapeaux (sic) qui seront distribués à ses compatriotes aussi effrontées qu’elle-même !… Enfin, elle a fondé un cercle de dames où les épouses et les filles des Croyans s’instruisent dans les arts des infidèles. Il y a des tableaux, des livres impies, un piano ! C’est un scandale intolérable… »

Derviche Vahdeti ne peut supporter de telles offenses au Chériat ! Et les soldats, qu’il flatte et qu’il excite, les bons soldats qui ne savent pas lire, se préoccupent de rétablir l’ordre, les bonnes mœurs et le Chériat ! Ils s’érigent en justiciers, et même en théologiens et en moralistes. Le 13 avril, ils n’oublient pas de saccager le cercle féminin de Stamboul et de briser le piano… Par bonheur, le logis était vide. Si quelque Hanoum s’y était trouvée, on lui aurait appris à respecter le Chériat, — comme on l’a appris à la fiancée du Grec.

Hier, 18 avril, les journaux publient l’avis suivant :

« Nos femmes musulmanes se promènent au Bazar, à Péra, dans des endroits louches ; elles font leurs achats dans les magasins. Cela étant contraire au Saint Chériat, leurs frères, les soldats, conseillent à toutes les femmes musulmanes qui ont de la pudeur de s’abstenir de ces actes. »

Et cet avis est signé : « Tous les soldats. »

Le Vulcan s’adresse aux mêmes soldats :

« Vous demandez que nos femmes n’aillent pas à Péra et dans des endroits inconvenans le visage découvert. En cela nous pensons comme vous. Mais laissez-nous, laissez à la presse le temps de s’occuper de ces choses. Nous avons, pour le moment, de plus graves questions à méditer… »

L’Osmanli, à propos du même avis, dit qu’il va consulter les Ulémas pour savoir si vraiment le Chériat défend aux femmes de sortir dans les rues et de faire des achats. Il ajoute qu’il publiera leurs réponses et il conclut :

« Une telle défense serait pénible pour les femmes qui n’ont pas de mari et qui sont obligées d’acheter elles-mêmes ce qu’il leur faut. »