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En attendant la réponse des Ulémas, les pauvres dames turques, prises de peur, restent cloîtrées chez elles.

Elles se méfient de « leurs frères les soldats. »


Mardi, 20 avril.

Hier matin, j’ai passé devant le Péra-Palace, l’hôtel élégant, le seul hôtel où descendent les gens qui se piquent d’être véritablement « comme il faut. » Ce grand caravansérail des snobs a subi la loi commune : il a vu partir quantité de touristes européens. Cependant, hier, il avait son aspect des plus beaux jours. Des cavass multicolores, des valets en livrée et en bottes, se pressaient sur le trottoir, et sans cesse, les portières claquantes des voitures livraient passage à des messieurs extraordinairement chamarrés, diplomates en uniformes, officiers, simples civils en fez et stambouline.

Qu’est-ce que tous ces personnages pouvaient bien faire, dans un hôtel ? Rendaient-ils visite à un personnage plus puissant encore ?… Les passans, qui n’étaient point plus nombreux qu’à l’ordinaire, ne montraient ni curiosité, ni émotion.

Mais un jeune attaché d’ambassade m’a confié, avec tristesse, que les traditions élégantes de la diplomatie venaient de recevoir, ce matin même, un coup mortel… Un grand événement s’accomplissait, qui aurait mérité le cadre somptueux d’un palais, et non le décor vulgaire d’un hôtel cosmopolite… Sans façon, à l’américaine, Rifaat Pacha, MM. Liaptcheff et Miltcheff signaient le protocole qui rend la Bulgarie indépendante !

Le jeune attaché d’ambassade ne pouvait se consoler…


L’hôtel paisible que j’ai choisi, moins fastueux que le Péra-Palace, offre un spectacle bien intéressant. À mesure que les Européens s’en vont, une foule de nouveaux cliens commence d’affluer, et le front mélancolique du gérant s’éclaire…

Des familles grecques ou arméniennes qui habitent la banlieue ou les quartiers excentriques de Péra, ont quitté leurs maisons mal protégées en cas de guerre civile. Il y a bien encore quelques Américains roux et colorés, mais les figures levantines grasses, pâles, placides, avec des cheveux luisans et des yeux en escarboucles, deviennent plus nombreuses. J’ai vu, ce matin, dans la salle à manger, une grande table ronde, présidée par une maman à bandeaux noirs, encore belle, et un papa moustachu.