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Les deux chevaux s’enlèvent, trottent sur l’infâme pavé où les roues s’en vont, en haut, en bas, tandis que je retiens mon chapeau… J’ai bien envie de regarder en arrière, mais si cela excitait les fureurs de ces horribles individus !… Alors, je prends un air digne, indifférent, détaché, l’air d’une personne dont la pensée plane, et qui n’a pas peur du tout !

Un choc, des vociférations, tout près de ma tête, à mon oreille !… Je me retourne… C’est le nègre qui a sauté sur la capote de la voiture et qui interpelle le cocher, Moïse, ou moi ?… Je ne sais. Je ne baisse pas les yeux, et je garde un air bien calme, avec ce sourire tranquille et poli qu’on a, lorsqu’on visite des maisons de fous et que les pensionnaires vous interpellent. Les chevaux font un écart ; le cocher crie je ne sais quoi, et le nègre disparaît. La troupe hurlante semble nous poursuivre, puis elle s’engouffre dans une ruelle. Et Moïse m’explique que ces coureurs ce sont les toulombadjis, pompiers volontaires, presque aussi dangereux pour les maisons que les incendies, car ils emportent souvent ce que le feu a respecté.

La machine qu’ils portaient, c’était la pompe !…


Autre épisode de ma promenade d’aujourd’hui.

Nous étions, au cœur de Stamboul, dans une rue étroite et malpropre, quand la voiture s’est arrêtée devant la boutique d’un confiseur. Moïse est descendu, et m’a fait signe de le suivre.

Où me mène-t-il ?… Une allée infecte, un escalier obscur, des enfans sales qui se moquent de mon chapeau… Sur le palier, il y a une porte, avec un rideau de cuir qu’un hodja soulève à demi.

Nous sommes à la hauteur des galeries de la mosquée Rustem-Pacha, où les fidèles commencent la prière. Le hodja est de mauvaise humeur. Il refuse de nous laisser entrer, et mon guide parlemente, tandis que les enfans sales mendient : « Dix paras, madama, dix paras. »

Enfin, moyennant un fort backchich, le hodja consent à nous donner les babouches réglementaires ; mais au lieu de me les mettre aux pieds, gentiment, comme faisait le brave prêtre de Kharié-Djami, il me les jette à la volée… (Attrape, si tu peux, chrétienne impure !

Il doit être réactionnaire, ce bedeau-là !