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Traînant les pieds, je suis le gracieux personnage qui, paraît-il, nous invite à ne pas rester longtemps. Ses clés à la main, il grommelle dans sa barbe ronde, et je crois que, lui aussi, critique mon chapeau marron, un chapeau à la mode de 1909 qui ressemble à une cloche, ou à une ruche, et qui était si charmant à Paris… Mais évidemment, dans une mosquée, il paraît bizarre…

Elle n’est pas très grande, mais elle est bien belle, la mosquée de Rustem-Pacha ! Elle est un jardin sans hiver, un jardin aux mille fleurs d’émail. Les piliers, jusqu’à la coupole, sont couverts de faïences persanes, où s’enroulent des liserons géométriques, où s’entremêlent les œillets, les tulipes, les palmes et les plumes de paon, de tous les verts, de tous les bleus, émeraude, saphir, jade et turquoise.

Un demi-jour clair, un crépuscule paisible caresse les floraisons froides et brillantes, et en bas, dans la nef, une quantité de soldats en brun, en bleu, sont accroupis ou prosternés sur les tapis aux nuances de velours rose.

Je ne vois que les têtes coiffées du fez et les pieds croisés, nus, ou en chaussettes… Quelques turbans verts, quelques fez, non militaires, par-ci, par-là, mais les soldats dominent, car il y a des postes tout proches. Ces hommes qui se battront demain, peut-être, contre leurs compatriotes, contre leurs frères d’armes, écoutent le discours d’un prêtre assis devant le mirhab.

Dissimulée derrière un pilier, je les regarde avec une curiosité passionnée. Que se passe-t-il dans leurs consciences obscures de fanatiques ? Quel enseignement, quel ordre reçoivent-ils de ce prêtre qui tire, pour eux, des leçons du livre sacré ?


24 avril.

J’ai changé d’appartement deux fois, désespérant de trouver le silence, et je m’étais installée, hier soir, dans une chambre assez triste qui ouvre sur la courette intérieure de l’hôtel. J’espérais y dormir un long sommeil que n’interrompraient plus les ronflemens ou la toux d’un voisin, ni les coquericos du coq maudit qui chante trois fois avant l’aube, ni les querelles des chiens, ni le bâton du veilleur de nuit tapant les heures sur le trottoir… cher silence !

Dans le petit jour gris de cinq heures, je m’éveille… Quoi ?… Un meuble, une lourde armoire a dû tomber, à l’étage supérieur,