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juste au-dessus de ma tête ; ou bien l’ascenseur, qui fonctionne mal, s’est décroché… Les murs vibrent encore d’un fracas assourdissant, et des portes battent, des gens courent dans l’escalier, dans les couloirs.

Fatiguée, je me rendors à demi… Jamais, jamais, je ne trouverai le silence !… Un peu de temps se passe. Et voici, de nouveau, le fracas… Et je distingue aussi un crépitement bizarre, — clac… clac… — mais dans cette pièce qui ne donne sur aucune rue, tous les bruits s’amortissent.

Enfin, la femme de chambre, appelée, arrive tout éperdue.

— Madame !… C’est le canon… On se bat au Taxim… L’armée est entrée cette nuit…

Je n’ai pas été lente à m’habiller, ce jour-là !

Le vestibule du rez-de-chaussée est plein de monde : tout le personnel de l’hôtel, presque tous les voyageurs ; et la curiosité nous pousse, les uns après les autres, jusque dans la rue.

Notre calme rue des Petits-Champs ! Je ne la reconnais pas, dans le clair matin frisquet, qui s’ensoleille… Des soldats en uniforme khaki, des soldats en uniforme bleu, couverts de poussière, passent, par groupes, et tout à côté, devant le consulat des États-Unis, il y a un corps de garde improvisé où l’on amène des prisonniers, des suspects, qu’on fouille, et qu’on désarme avant de les envoyer à la police. Tout à l’heure, on vient d’arrêter deux faux hodjas, aux poches capitonnées de bank-notes, et on les a houspillés quelque peu… Maintenant, quatre soldats conduisent un officier réactionnaire, qui n’a plus d’épée, dont le dolman sombre est déchiré à l’épaule, et qui marche, pâle, calme, l’air distrait. Devant le consulat américain, une foule pressée stationne, attentive aux moindres incidens, nerveuse, prête à s’enthousiasmer ou à s’affoler… Et parfois, à grand trot, à grand bruit, passent des cavaliers, des fourgons qui sonnent la ferraille, des civières, des voitures aménagées pour les ambulances, un équipage correct, avec un cavass d’ambassade sur le siège.

Le canon s’est tu ; la fusillade, vers huit heures, devient plus lointaine, plus espacée… On sait que les casernes de Chichli et du Taxim ne résistent plus, que l’armée de Salonique occupe toutes les hauteurs de Péra et se dirige vers Yldiz. À Galata, quelques caracols se défendent encore, et les ponts étant barrés, nul ne peut pénétrer dans Stamboul.. Là-bas aussi, sur l’autre