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rive, la bataille continue, du côté de la Sublime-Porte ; mais les nouvelles précises manquent.

Un détachement macédonien passe, et, de toutes les fenêtres, partent des applaudissemens et des bravos… « Voilà nos sauveurs !… Voilà les héros de la liberté, les défenseurs de la Constitution… « Les gens qui crient le plus fort restent pourtant chez eux, au lieu de former des bandes de volontaires, comme ont fait les Grecs et les Bulgares de Macédoine… La population pérote n’est pas guerrière par vocation, mais elle aime bien les guerriers qui la défendent. Elle ne leur ménage pas les épithètes flatteuses et les acclamations. Les soldats et les officiers ne témoignent aucune émotion d’aucun genre. Peut-être sont-ils indifférens, ou dédaigneux, ou fatigués de cette nuit de marche, de cette matinée de combat. Ils défilent, et d’autres leur succèdent, et d’autres… Ils vont à Stamboul.

Le soleil de midi brûle. Le printemps à peine tiède prend la splendeur de l’été. En face, dans le jardin vide, les platanes ont déplié mille petits drapeaux vert tendre. Des pigeons gonflent leur col de soie grise. Des gens emportent un mort dans une sorte de brouette… Et les prisonniers arrivent toujours.

Vers trois heures, quand tout paraît calmé, quand les barrages sont rompus, on apprend que la bataille recommence à Tachkichla, au Taxim… On dit que les réactionnaires ont arboré le drapeau blanc et qu’ils ont pris entre deux feux, par traîtrise, les libéraux déjà entrés dans la cour du Taxim … Il y a eu beaucoup de morts, des représailles sanglantes…

Par le passage du Bas-Marché, je gagne la rue de Péra et l’ambassade de France. Elle est située tout à fait en contre-bas de la rue, et une descente très roide y donne accès. Là, des élèves de l’école militaire de Pancaldi, de tout jeunes gens vêtus de khaki, fraternisent avec les braves marins bretons du stationnaire Jeanne-Blanche.

Les beaux lilas du jardin, en pleine fleur, semblent un énorme bouquet blanc et mauve. L’ardeur du jour déclinant s’apaise en douceur exquise ; il y a de la joie dans l’air, la joie encore timide et incertaine de la ville délivrée. Je trouve, dans le jardin, un groupe de jeunes femmes, qui sont là, depuis le matin, avec leurs enfans et les bonnes de leurs enfans. Elles habitent des maisons qui ne semblent pas très sûres, et qui ont été plus ou moins criblées de balles. Réfugiées ici,