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sa condition inférieure. » Conseiller référendaire en 1843 dans le gouvernement de Potsdam, il n’aime ni cette ville, ni ses habitans et se promet bien de profiter du moindre loisir pour s’échapper à Berlin. Il remarque en Prusse l’apparition d’un esprit libéral auquel on ne donne pas satisfaction ; il constate toute espèce de crises et de détresses matérielles, de l’instabilité dans le gouvernement et de l’absence de principes, des affaires en désordre et des finances ébranlées. « Au premier prétexte, nous aurons un soulèvement. L’armée n’est pas sûre... Nous sommes les arbres aux branches desquels s’accrocheront les victimes de l’inondation. Prenons garde que nos racines ne pourrissent, mais tâchons qu’elles plongent dans un sol ferme ! » En 1845, le prince Clovis de Hohenlohe reprend le titre de prince régnant de Schillingsfürst et demande un congé illimité comme référendaire. Il passe tout l’hiver en son château, et cet homme, que l’on croyait froid comme glace, s’anime devant la nature. « Je viens d’interrompre, écrit-il à la princesse Amélie sa sœur, cette lettre inquiète et nerveuse pour regarder par la fenêtre. Quel apaisement ! Un merveilleux clair de l’une s’étend au loin sur les monts et les vallées. Tout est calme, paisible et tiède et des souffles printaniers circulent sur les hauteurs. Les souvenirs du passé inondent alors l’âme d’une douce mélancolie, souvenirs de tout ce que nous avons pensé et fait de bien dans la vie. A leur suite, ce sont les disparus eux-mêmes qui remontent du passé. C’est tout de même consolant de penser, par cette belle nuit, que ce vieux et cher nid de pierre n’est point mort et dévasté ; mais qu’il appartient à un mauvais poète qui, de temps à autre, se met à la fenêtre pour contempler un beau clair de lune. Il semble alors que le vieux nid de pierre s’en réjouit. »

Le prince se livre à des réflexions philosophiques, cherchant à se rendre inexorablement sincère et à être, comme le lui conseillait son précepteur Bolte, « fidèle à lui-même. » Il consentirait bien à se marier, mais pas avant de se sentir capable de s’avancer d’un pas ferme sur le chemin de la vie. « Pour l’homme, le mariage ne doit pas être le but, mais le moyen d’ennoblir sa nature. La femme doit être le sentier ombragé à côté de la grande route de la vie... Les gens de notre condition prennent trop facilement le mariage pour but. Un prince d’Empire s’installe en son château, se marie, va à la chasse, signe des décrets et s’imagine être un héros ; mais, malgré son bonheur conjugal, il