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n’échappera pas à certain mécontentement intérieur qu’il ne parvient pas à s’expliquer et qui attriste ses jours : c’est le manque d’un but précis, le manque d’une participation active aux grands intérêts de l’humanité ; en un mot, c’est la voix de la conscience qu’il ne comprend pas, qu’il ne veut ni ne peut comprendre... Chez nous et dans notre condition, les heureux ne sont pas les hommes, mais les femmes, pour peu qu’elles entendent quelque chose à leur rôle. » En juin 1846, il démissionne du service de la Prusse et veut s’adonner à l’étude de l’agriculture. « Lorsqu’on parvient, dans un château solitaire, autour duquel pleurent tous les vents, avec la chasse et des livres pour toute occupation, à garder le courage de vivre, l’air doit y être pour quelque chose. Je dois également à cet air de trouver du plaisir à la nouvelle activité qui m’attend. Dans tous les cas, l’agriculture, telle qu’on la pratique, est un simple gâchis ; voilà pourquoi j’étudie assidûment tous les ouvrages parus sur la matière. C’est un domaine nouveau de la science qui s’ouvre devant moi, un nouveau monde de connaissances ; je regarde à présent hommes et bêtes d’un œil bien différent ; je conçois du respect pour des gens et des préoccupations que j’avais méprisés jusqu’ici et, de plus en plus, je trouve la confirmation de ce vieux principe que, sans une base concrète, sans une connaissance positive aussi étendue que possible, la philosophie et l’abstraction n’ont aucune valeur. »

En 1846, le prince Clovis se décide à se marier. On lui parle « d’une merveille d’amabilité et de naturel, pieuse, bonne, etc., mais, malgré ses dix-sept ans, indépendante et d’une conquête difficile. » Il va doucement, en parfaite tranquillité d’âme, vers le piège qu’il s’est laissé tendre. Il y trouve bientôt de grands attraits. La princesse Marie de Sayn-Wittgenstein, par sa délicatesse exquise, a su le conquérir dès la première entrevue. « De jour en jour, je sens mieux quel bonheur indescriptible m’a été donné sans que je l’aie mérité. Chaque jour nous rapproche l’un de l’autre. Ce ne sont pas de banales entrevues, mais des conversations intimes et sincères où le regard s’éclaire de joie à mesure que l’on trouve un plus profond accord... Ces heures de rendez-vous passent comme par enchantement. Et le fait qu’il n’y a pas encore eu de déclaration ajoute un charme particulier à cette situation. » Cependant, au moment de se déclarer, il hésite et se tourmente. Comprend-il bien le