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donner cette nouvelle feuille, si l’on n’était pas sûr de se tirer de la foule obscure de ces gazetiers littéraires qui ennuient le public avec privilège.


Cette nouvelle feuille devait naturellement faire merveille, et le premier numéro en était joint à cette réclame pour donner aux futurs souscripteurs un aperçu des beautés qui leur étaient réservées.

Cet envoi parvint entre les mains de l’intendant de Chalon qui s’empressa de le faire tenir au lieutenant de police, et l’inspecteur d’Hémery ne tarda pas à découvrir le rédacteur du gazetin, « Jean-Baptiste Du Thuillé, ancien secrétaire du président Brayer de la Motte, sans ressources, à In recherche d’une position sociale, d’ailleurs garçon d’esprit et l’intime de Chevrier, qui a bien pu le conseiller et lui donner des matériaux. » D’Hémery voyait juste.

Du Thuillé, en bon nouvelliste, apprend que la police est mise en éveil ; il se cache, mais n’interrompt pas la publication de ses gazetins. On lit dans celui du 3 mai :


Ne soyez pas étonné du changement de la feuille ci-jointe. Jusqu’à nouvel ordre, elles seront précédées d’un préambule et terminées en lettres, ordinaires pour éviter toute ressemblance avec ce qu’on appelle nouvelles à la main.

Depuis le 5 avril, date de la dernière feuille, j’ai eu des inquiétudes de la police qui m’ont forcé à interrompre mes opérations auxquelles cependant je travaille à donner une forme plus intéressante, ayant à cet effet établi quelques correspondances étrangères qui, dans l’événement de la guerre dont on parle beaucoup, seront d’une grande ressource.


Et ce même numéro commençait, non plus comme une gazette, mais comme une lettre d’affaires, par ce préambule, un trompe-l’œil :

« Le locataire de votre maison du faubourg Saint-Germain ne peut me payer vos loyers que dans huit jours ; pour vous dédommager du peu d’intérêt de cette lettre, je vais vous faire part de ce qui se dit... »

Et voilà le journal amorcé, la police dépistée : ce n’est plus un gazetier qui s’adresse à ses abonnés, c’est un receveur de rentes qui écrit à ses commettans. Mais les limiers de M. le lieutenant général avaient le nez fin. Le 4 janvier 1754, Du Thuillé était arrêté et mis à la Bastille. Interrogé dans sa prison, le détenu déclara que Chevrier ne lui fournit des bulletins que