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effet, sur le trône moscovite, le prédécesseur immédiat de Boris Godounow. Un trait aussi, et le principal, du caractère des deux héros leur est commun : la violence farouche, que l’amour paternel attendrit. Par les qualités enfin de la musique, par son intensité, sa concision et sa puissance, la Pskovitaine offre d’évidentes affinités avec Boris. La différence de l’un à l’autre ouvrage est de degré, non de nature, et l’on peut trouver, montrer dans le premier, l’annonce et l’esquisse d’un art dont le second est le chef-d’œuvre et la perfection.

Je l’admire et je l’aime, cet art, pour ses beautés d’abord, et puis, et non moins, pour la franchise, la rudesse, avec laquelle il contredit et, si vous voulez, il bouscule un certain nombre de conventions ou de préjugés, que, depuis Wagner, au nom même (dont on abuse) de Wagner, quelques-uns nous proposent et voudraient nous imposer comme des principes ou des lois. Point de salut hors de leur église, et leur église a pris ces trois articles ou ces trois dogmes : sujet légendaire, leitmotiv et « tout à l’orchestre, » pour la base ou le fond de sa doctrine et de sa pratique, de sa foi et de ses œuvres. Mais voici que le génie russe vient ébranler, ruiner cette triple base et, sur ses débris élever un drame lyrique libre et vivant.

Des figures telles que le Boris de Moussorgsky ou l’Ivan de Rimsky-Korsakoff l’établissent en quelque sorte la dignité musicale de l’histoire. Elles ne permettent plus de soutenir ce paradoxe, que le fait seul d’avoir réellement existé constitue, pour un personnage, une cause de déchéance esthétique, entraînant la perte ou seulement la diminution de sa grandeur et de son humanité. Mais bien plutôt elles nous rappellent, ces figures historiques, le rôle ou le devoir national que la musique, la musique de théâtre, peut remplir. Elles nous prouvent que l’opéra même, ou le drame lyrique, n’est point indigne d’évoquer les grands événemens et d’honorer les grands hommes de la patrie.

Pas plus que ses sujets ni ses personnages, l’opéra de Russie n’emprunte son style à l’étranger. Ivan le Terrible, comme Boris, est aussi pur de l’aria d’Italie que du leitmotiv allemand. Et cette dernière immunité surtout procure à l’auditeur une sensation délicieuse de soulagement et de repos. Enfin ! Il est donc redevenu possible, et permis, de tracer des caractères, de les creuser même, d’une main aussi sûre, aussi fine, mais plus libre, de nous faire connaître et reconnaître des personnages à des signes aussi vrais, aussi profonds, mais plus largement tracés. Ainsi la mosaïque ou la marqueterie sonore où s’amusent nos jeunes gens n’est pas le mode unique de