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l’analyse et de la psychologie musicale. L’amour de l’infiniment petit, la passion, la maladie du détail n’a pas tué le sentiment ou la manière plus aisée, le goût des vastes généralisations et des grands partis pris. Déjà contre le monopole du leitmotiv quelques chefs-d’œuvre s’étaient élevés, qui protestent encore : Samson et Dalila, Carmen et le Roi d’Ys en France, Otello et Falstaff en Italie. On est heureux de voir ou d’entendre la Russie mêler sa voix puissante à ce concert libérateur.

Oui, sa voix, car elle chante et, dans le drame musical russe, la symphonie, ou l’orchestre, n’a pas la première place. Assurément il y coopère. Il n’a rien de commun avec la « grande guitare » dont se contenta longtemps, au dire de Wagner, le théâtre lyrique d’Italie. Mais cet auxiliaire intelligent, ingénieux, ne ressemble pas davantage à l’usurpateur allemand. Il accompagne, et quelquefois même, — comme dans la première scène d’Ivan, pendant les gracieux ébats des jeunes Pskovitaines, — il enveloppe, mais d’un voile transparent, aux plis légers, et qui n’étouffe pas. D’autres fois, dans les passages même les plus pathétiques (voir les deux tableaux de la place publique), il se contente, pour marquer les points saillans, de touches brèves et fortes, de deux notes au besoin, faisant l’une avec l’autre un intervalle expressif. Ailleurs, il laisse au chant toute indépendance. Purement vocal est le charme de telle ou telle mélodie : au premier acte, un appel amoureux du ténor ; au second, l’attaque, très en dehors, de l’hymne de guerre et de liberté ; au dernier, le début d’une phrase de soprano dans le duo de la jeune fille avec Ivan. Entre les divers élémens : l’orchestre, le chant, le verbe, il semble que le génie russe ait trouvé le secret des justes rapports et des partages harmonieux. Dans le style d’Ivan le Terrible, tout s’accorde, se fond, et rien ne prédomine. Avec sa valeur et sa vie propre, la parole y a pourtant sa vie de relation. Indépendante, mais non pas isolée, encore moins étrangère, elle tient, comme un vigoureux bas-relief, au fond d’harmonie et d’orchestre dont elle se distingue, sans en être séparée. Très déclamée, elle est aussi très vocale, très mélodique, et jamais elle ne renonce à chanter.

L’art russe est simple. Il épargne les moyens. Moins étendu peut-être que profond, il traite les parties intérieures du drame avec intériorité. Les scènes, capitales à cet égard, entre le tsar terrible et la douce enfant dans laquelle il a reconnu sa fille, sont émouvantes et belles d’une beauté qui se concentre et d’une émotion qui se contient.

D’autres au contraire, les scènes populaires ou publiques, sont admirables par l’effusion ou la projection au dehors. La foule, voilà le dernier élément, et non le moindre, de l’opéra de Russie. Les musiciens