Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdre, Catherine a comparu. « Mon maître et mon seigneur, je me soumets à vous. » Dans les mêmes termes que tout à l’heure, elle s’adresse encore au Roi. Sur le thème austère et déjà protestant de la marche, d’une marche bien anglaise, la voix, soumise en effet, mais grave et digne, essaie de ne pas trembler ni défaillir. C’est peu de chose, trois mesures à peine, mais à la fois déclamées et chantantes, mêlées de crainte et de furtive espérance, elles sont, par ce mélange même, quelque chose de délicieux.

Maintenant, les grandes lignes vont se développer. « La parole est à Dame la reine, » et d’abord cette parole de femme trouve à peine la force de s’élever au-dessus de l’orchestre inégal et haletant qui l’accompagne. Mais par degrés elle s’affermit. Le plaidoyer de Catherine pour elle-même, pour les droits de son amour et de son hyménée, se compose de deux strophes, ou de deux stances, qu’une libre introduction précède, que relie un intermède plus libre encore. Pas un instant la beauté, l’unité de l’ordonnance n’y entrave le naturel et la variété du discours. Un dessin continu des instrumens à cordes soutient, soulève la courbe à longue portée de la voix. Tendre et plaintive sans faiblesse, la cantilène passe, monte droite, à travers les harmonies et les modulations, jusqu’au sommet de la période, qu’elle couronne seulement à la fin, comme d’une flamme, d’un émouvant appel et d’une adjuration passionnée.

Voilà, dans ce portrait de femme, la grande lumière centrale. A la fin de l’opéra, comme au bord d’une toile, elle s’atténue et s’éteint. Si Catherine en personne est absente, à l’avant-dernier tableau, de l’entretien d’Henry VIII avec l’ambassadeur d’Espagne, son âme chante par la voix de celui dont elle a fait son interprète et son messager. Oh ! le triste, et malgré tout le tendre message ! Comme il sort aisément des quelques mesures de récitatif, d’un récitatif si pur et si juste, qui le précèdent. Comme la mélodie prend, et suit doucement son cours mélancolique et solitaire ! Elle ressemble à l’épouse, dont elle n’apporte à l’époux indigne que le salut sans colère et les souhaits miséricordieux.

Le dernier trait de cette figure féminine et royale en est peut-être le plus délicat : je parle du monologue de Catherine avant le fameux et superbe quatuor qui termine l’opéra. Dans l’œuvre du maître, je ne vois pas une autre page de ce caractère et de cette qualité. Gounod tout à l’heure louait Mozart de n’avoir employé dans la Flûte Enchantée que des « ressources réservées et placides. » M. Saint-Saëns a fait de même ici. Par la restriction des moyens, il nous donne l’impression, qui