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et quarante ans bientôt passés n’ont pas suffi à la résoudre. L’Autriche-Hongrie a pu oublier l’atteinte portée à son prestige en 1866. La France n’a pu effacer de son souvenir la plaie ouverte à son flanc en 1871. Bismarck, pour faire l’Empire allemand, a pu croire nécessaire de nous prendre l’Alsace et la Lorraine. Mais, en nous les prenant, il a creusé un abîme entre son pays et le nôtre. Le démembrement de la France, c’est-à-dire de l’État le plus centralisé, de la nation la plus une qui fut jamais, a contredit les tendances essentielles du siècle qui a vu ce démembrement. Le temps où, dans toute l’Europe, les nationalités tard venues naissaient à l’espérance et à la vie est celui que la Prusse a choisi pour mutiler la plus ancienne, la plus vigoureuse, la plus cohérente des nationalités existantes. Il n’est pas besoin d’obéir aux suggestions du sentiment pour concevoir les conséquences de ce solécisme historique. En primant le droit, la force allemande a primé aussi les exigences de notre époque. Et si, depuis lors, l’existence côte à côte a été pour les adversaires de la veille si difficile et si précaire, c’est qu’entre eux se dresse l’imprescriptible revendication des lois naturelles violentées par le génie humain.

Ni les Français, ni les Allemands d’aujourd’hui ne sont responsables de cette situation dont ils subissent les conséquences. Comme toutes les grandes œuvres personnelles, l’œuvre de Bismarck, modifiée par les événemens, réagit à son tour sur eux. Et ce n’est la faute ni du gouvernement de la République, ni du gouvernement de l’Empire, si les transactions les plus simples sont grevées pour eux du poids du passé. Depuis la fin de 1904, l’Allemagne et la France ont été plusieurs fois au seuil de la guerre et toujours sans la vouloir. Car, même dans les périodes les plus aiguës, ni à Berlin ni à Paris on n’a prononcé les mots irréparables qui eussent rendu le conflit inévitable. Les morts parlaient cependant, et les vivans, remués par leur appel, hésitaient sur la route à suivre. Volonté de paix, instinct de bataille se heurtaient dans les esprits troublés. Et si une semaine de conflit suffisait à effacer des années de calme, il fallait des mois d’efforts pour restaurer la sécurité perdue. L’organisme franco-allemand souffre du mal que lui a inoculé Bismarck. C’est en malade qu’il faut le traiter, avec d’infinis ménagemens. Son existence ne peut connaître le rythme harmonieux des corps sains. Aux médecins incombe le soin d’essayer patiemment les remèdes