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excitatrice du désir charnel, dont la face d’ombre est Kali, déesse de la Mort. Non moins sainte, non moins vénérée devint la femme terrestre. Désormais l’épouse et la mère furent placées sur un piédestal. C’est sous forme d’un dithyrambe que le Vichnou-Pourana parle de la mère de Krichna : « Personne ne pouvait regarder Dévaki, à cause de la lumière qui l’enveloppait, et ceux qui contemplaient sa splendeur sentaient leur esprit troublé ; les dieux, invisibles aux mortels, célébraient continuellement ses louanges depuis que Vichnou était renfermé en sa personne. Ils disaient : « Tu es la Parole, l’Énergie du Créateur, mère de la science et du courage. Tu es descendue sur la terre pour le salut des hommes. Sois fière de porter le dieu qui soutient le monde. »

Ainsi la Femme fut glorifiée par Krichna comme l’organe de l’Éternel-Féminin, comme le moule du divin sur la terre, et avec elle l’Amour. Conçu dans l’éther himalayen, l’Amour descendit comme un parfum capiteux dans les plaines brûlantes pour s’insinuer dans le cœur des hommes et des femmes, pour s’épanouir dans la poésie et dans la vie, pareil au pollen des lotus que les cygnes emportent sur leurs ailes dans leurs ébats amoureux, et qui s’en va féconder les nymphéas bleus, le long des fleuves. C’est l’apothéose du principe féminin qui donna à l’âme indoue cette douceur particulière, ce respect profond de tous les êtres vivans, cette tendresse morbide et alanguie, source de faiblesse et de dégénérescence, mais aussi d’un charme pénétrant et unique.

Parvenu à son apogée, le monde brahmanique présentait un des spectacles les plus extraordinaires que la terre ait jamais vus. Cette civilisation ne donnait certes pas l’impression de la solidité égyptienne, ni de la beauté hellénique, ni de la force romaine, mais ses étages disparates formaient un édifice d’une étonnante richesse et d’une grandeur imposante. On aurait pu croire que le génie qui préside aux destinées de notre planète s’était dit : « Voyons quelle sorte de monde on peut construire en mêlant en un seul peuple toutes les races de la terre. Nous verrons ailleurs ce que l’on peut faire avec chacune d’elles. » Du moins est-il certain que les richis et les brahmanes, architectes de cette civilisation, eurent dans l’esprit un modèle de ce genre. On y rencontrait presque toutes les couleurs de peau, tous les genres de mœurs, de religions, de philosophies, de l’état sau-