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LE MYSTÈRE DE L’INDE.

vage au faste somptueux des cours royales, du fétichisme le plus grossier à l’idéalisme et au mysticisme transcendans. Mais tous ces élémens, superposés selon la loi d’une savante hiérarchie, se fondaient en une fresque multicolore et chatoyante qui s’harmonisait avec le cadre de cette nature gigantesque, avec la lenteur majestueuse du Gange et la hauteur vertigineuse de l’Himalaya.

Au sommet de ce monde, mais comme à part et dans une solitude profonde, nous apercevons les ermitages d’ascètes, aux flancs des montagnes, au bord d’étangs limpides, de larges fleuves ou au fond d’épaisses forêts. Ils habitent là avec leurs disciples, plongés dans la lecture des Védas, dans la prière et la méditation. Tenues en respect par une crainte mystérieuse, les bêtes fauves reculent devant le pas tranquille des solitaires et n’osent franchir l’enceinte que défend la magie de leur regard. Les antilopes et les gazelles, les hérons et les cygnes, des multitudes d’oiseaux prospèrent sous la protection des anachorètes qui vivent de riz, de racines et de fruits sauvages. Le calme et la sérénité de ces retraites en font des espèces de paradis terrestres. Dans le drame de Sakountala, le roi Douchanta, descendant du ciel sur le char d’Indra, aperçoit les bosquets des solitaires sur une cime et s’écrie : « Ah ! ce séjour de paix est plus doux que le ciel même ! Je me sens plongé dans un lac de nectar. » Refuges silencieux, où des sages inoffensifs vivent loin des agitations du monde dans la contemplation de l’Éternel. On pourrait les croire sans action sur leur temps, et pourtant ce sont eux qui le gouvernent secrètement. Leur prestige est intact, leur autorité souveraine. Les brahmanes les consultent, les rois leur obéissent et se retirent parfois chez eux dans leur vieillesse. En réalité, ces ermites surveillent et dominent la civilisation brahmanique. Ce sont leurs pensées, leurs conceptions religieuses et morales qui règnent sur lui et le façonnent. Austères pour eux-mêmes, ces sages ne le sont pas pour les autres. Revenus de toutes les illusions, mais indulgens aux faiblesses humaines, ils mesurent à tous les êtres l’effort, la peine et la joie. Leurs asiles ne sont pas entièrement fermés à la vie, ni même à l’amour. Quelquefois la femme âgée d’un brahmane fonde, sous l’autorité du chef des ascètes et dans leur voisinage, un ermitage pour les jeunes filles nobles, qui, sous le nom de pénitentes, se préparent par une vie rus-