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Or la troupe des dieux redoutés est absente.

Un seul, celui qui tient la foudre éblouissante,
Est là qui dort, pressant dans son poing, en éclairs,
Ce feu qui doit soumettre un jour l’air et les mers…
Prise là, dans sa main, l’étincelle première
Au monde inférieur doit livrer la lumière.

L’homme s’est approché, sournois, du dieu dormant…
Il tient prêt son roseau, l’approche lentement
Du foyer dont l’éclat l’éblouit et ruisselle,
Et dès qu’il voit, captive au fond, une étincelle,
Vite, il clôt d’un épais limon le roseau creux,
Pense aux hommes et dit : « Comme ils vont être heureux ! »


VI


Le voleur maintenant retourne vers la plaine
Pour léguer sa conquête à la misère humaine.
Rude à qui monte, dure à qui la redescend,
La côte à chaque pas lui met les pieds en sang.
Il pleut. L’eau par torrens sur lui coule et découle ;
Comme fondu, le ciel en cataractes croule…
Qu’importe ! tant qu’il voit l’étincelle, point d’or
Où l’avenir du monde à la fois veille et dort.

Hélas ! l’homme vainqueur des dieux n’est qu’un impie
Les dieux jaloux voudront tôt ou tard qu’il expie ;
Et voilà que l’obscur conquérant du feu clair,
Dompteur futur de l’eau bleue et du bleu de l’air,
Dès demain créateur des foyers, qu’environne
Le couple avec les fils rassemblés en couronne,
Voilà que le premier des grands victorieux
Déjà se voit traqué par la haine des dieux.
Il voit qu’un dieu mauvais s’est mis à sa poursuite :
S’il s’attarde, il se perd ; il se perd s’il hésite ;