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de réserve qui nous interdira dorénavant toute tentative pour prêter à ses actes une interprétation différente de celle qu’il a, lui-même, consenti à nous en offrir. Sans compter que jamais, peut-être, autobiographie de ce genre n’a été aussi remplie de portraits d’autres personnages divers, musiciens et hommes de lettres, grands seigneurs et aventuriers, dont beaucoup se sont acquis une célébrité suffisante pour que la seule mention de leur nom ait de quoi éveiller notre curiosité.

D’où vient donc que, malgré tous les motifs qu’elles ont de nous toucher et de nous intéresser au plus haut point, ces Confessions de Richard Wagner risquent de nous produire, au total, une singulière impression de fatigue désabusée, qui ne leur permettra jamais, je le crains, de prendre place à côté des autobiographies analogues d’un Rousseau, d’un Chateaubriand, d’un Gœthe, et de maints autres artistes qui, parfois, sont loin d’égaler en génie aussi bien qu’en sincérité le poète souverain du Crépuscule des Dieux et de Parsifal ? Dira-t-on que cette impression résulte de la longueur, de l’« épaisseur » excessives de deux énormes volumes d’un récit étrangement abondant et touffu, d’un récit où trop souvent l’auteur, à force de vouloir ne nous rien cacher, insiste complaisamment sur des sujets dénués d’intérêt en soi-même, ou encore qui ont perdu pour nous, aujourd’hui, l’attrait qu’ils pouvaient offrir aux contemporains de Wagner ? Oui, mais il me semble que la cause principale de la désillusion que vont, peut-être, laisser à la masse des lecteurs ces précieux Mémoires doit être cherchée plus profondément : dans l’infirmité désastreuse qui, toujours, a empêché l’un des plus puissans penseurs et poètes qu’il y ait eu de réussir à exprimer au dehors, sous la forme du langage littéraire, le trésor de sentimens et d’idées qu’il portait en soi.

Moins sensible, peut-être, dans les lettres de Richard Wagner, où celui-ci n’était pas aussi gêné par la préoccupation d’avoir à faire acte d’« écrivain, » c’est déjà cette infirmité qui nous a rendu presque illisibles les dix volumes des Écrits théoriques du maître, répertoire inépuisable de vues originales, d’exquises images, d’émotions héroïques. Soit qu’il ait manqué au jeune étudiant saxon un autre Weinlich pour l’initier aux secrets de l’expression littéraire, ou que sa nature l’ait irrémédiablement condamné à ne pouvoir épancher son esprit et son cœur que dans l’unique langage de la musique, toujours est-il que cet homme d’une si grande intelligence s’est trouvé, toute sa vie, comme paralysé lorsqu’il a eu à revêtir de paroles écrites les idées même les plus simples et qui lui étaient les plus familières. À