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LE CHÂTEAU DE LA MOTTE-FEUILLY EN BERRY.

profit de la princesse Charlotte. » Alain avait exigé que les cent mille livres fussent garanties par les quatre trésoriers du Roi ou généraux des finances.

Le mariage suivit immédiatement. Il fut célébré et consommé le 12 mai. Charlotte avait été surnommée « la plus belle fille de France. » César était à cette époque si bien de sa personne qu’on avait pu dire de lui que « comme Tibère dans l’antiquité, il était le plus bel homme de son siècle. » Dix jours après son union, il envoyait à son père au Vatican un courrier spécial. Telle était la brutalité des mœurs du temps que le nouvel époux raconte à son père sa nuit de noces et ses prouesses à cette occasion, dans un langage tellement libre que je ne puis ici le reproduire[1]. Alexandre VI s’amusa fort de ce récit avec son fameux maître des cérémonies Burckhardt.

Sept jours après le mariage, le 19 mai, jour de la Pentecôte, le Valentinois reçut directement de la main du Roi ce collier de Saint-Michel qu’il avait refusé de prendre de toute autre main, ce collier somptueux fait de coquilles d’or et de lacs d’amour en soie noire avec l’image du Saint Archange, « presmier chevalier qui, pour la querelle de Dieu, batailla contre l’ancien ennemi de l’humain lignage et le fit trébucher du ciel. » Un courrier, arrivé à Rome dès le 23, annonça à la cour pontificale cet événement qui fut célébré par des fêtes publiques.

Aux premiers jours, la candide Charlotte aima certainement d’amour son jeune et bel époux. La lettre au Souverain Pontife, son beau-père, qu’elle joignit à la missive de César, lui exprimait, dit M. Bonnaffé, ses sentimens de fille dévouée et son vif désir de se rendre à Rome pour le connaître ; puis, d’un ton enjoué, elle se déclarait très satisfaite de son présent état.

Mais ce bonheur, si bonheur il y eut, fut de bien courte durée. Quatre mois à peine, après son mariage, César reprenait le chemin de sa chère Italie pour y commencer sa vie de grandes aventures et quittait sa jeune femme enceinte de lui. Hélas ! il

  1. Dans les Mémoires de Robert de la Marck, seigneur de Fleuranges, le rôle de César dans cette nuit mémorable semble beaucoup moins glorieux puisque, suivant cette source, il aurait été victime d’une cruelle plaisanterie : « Et pour vous conter les noces du dit duc de Valentinois, il demanda des pilules à l’apothicaire pour festoyer sa dame, là où eut de gros abus, car, au lieu de lui donner ce qu’il demandait, lui donna des pilules laxatives, tellement que toute la nuit, il ne cessa d’aller au retrait, comme en firent les dames le rapport au matin ! » Nous savons encore que, suivant la coutume du temps, César avait fait bénir le lit nuptial par un prêtre pour conjurer les maléfices.