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jusqu’à l’époque fabuleuse de Romulus. Les textes, à ce sujet, sont obscurs et contradictoires. Mais, en quelque sens qu’on les interprète, il faut bien noter qu’ils se rapportent tous au divorce prononcé par le mari lui-même et à son profit. A quel moment le divorce a-t-il été au contraire demandé par la femme ? A quel moment est-il devenu pour elle, non plus une humiliation qu’on subit, mais une libération qu’on réclame ? Les documens anciens sont malheureusement muets sur cette question. Les premières œuvres où l’on parle de mariages dénoués sur l’initiative de l’épouse sont les comédies de Plante. Il est vrai que ce ne sont guère que des traductions du grec, et qu’en bonne logique leur témoignage vaut pour les mœurs helléniques plutôt que pour les mœurs romaines, dépendant, à cette date, la traduction se complique toujours d’une certaine adaptation aux goûts et aux habitudes du public. Il est probable que Plaute n’aurait pas mis aussi fréquemment sur la scène des matrones qui parlent de divorcer, si, parmi ses spectatrices, plus d’une n’avait été prête à en faire autant. On peut donc admettre que, dès le commencement du IIe siècle avant Jésus-Christ, le divorce au gré de la femme était déjà chose connue, en attendant qu’il devînt, par un progrès insensible, chose tout à fait fréquente.

A la fin de la république, en effet, et sous l’empire, les femmes romaines paraissent bien avoir eu le droit de rompre leur mariage quand bon leur semblait, et avoir largement profité de ce droit. Non pas qu’il faille peut-être invoquer ici, comme l’ont fait beaucoup d’historiens, les textes célèbres de Sénèque, de Juvénal et de Tertullien. L’un nous dit que les grandes dames comptent les années, non par les noms des consuls, mais par ceux de leurs maris. L’autre nous parle de femmes qui trouvent le moyen d’avoir huit époux en cinq ans. Le dernier déclare que le divorce est devenu le vœu des matrones et le fruit naturel du mariage. Tous ces mots sont spirituels et frappans, mais ce sont des « mots, » auxquels il serait sans doute imprudent de se fier, d’autant plus que Sénèque est un moraliste, qui, par définition, doit être sévère à l’excès pour les mœurs de son temps, que Juvénal est un pamphlétaire et un déclamateur, et Tertullien un adversaire systématique de la société païenne. Leurs assertions ne peuvent donc pas servir de preuves, mais les preuves sont ailleurs. Elles sont dans les faits