Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(souvent à un taux outrageusement usuraire), participation aux grandes entreprises commerciales dans les provinces, aux sociétés formées pour la perception des impôts ou pour l’adjudication des travaux publics, tous les modes d’enrichissement dont usaient les patriciens et les chevaliers étaient aussi bien offerts à leurs femmes et à leurs filles. Tout au plus l’usage leur prescrivait-il dans certains cas (par exemple pour les fermes et entreprises des publicains) de se dissimuler derrière un prête-nom, mais ce subterfuge, qui ne trompait personne, ne leur apportait pas une gêne réelle. En fait, les lettres de Cicéron et celles de Pline nous les montrent mêlées autant que les hommes, sans différence appréciable, à la vie financière de leur époque.

Quant aux autres occupations masculines, il n’est pas très aisé de savoir jusqu’à quel point elles y étaient associées. Les auteurs latins nous en parlent peu, et quand ils en parlent, c’est quelquefois pour se contredire. Ainsi Juvénal, dans sa sixième satire, dépeint les femmes comme possédées d’une fureur de rivaliser avec les hommes sur tous les champs d’action : les unes faisant de la gymnastique ou de l’escrime, les autres se lançant à corps perdu dans la chicane, d’autres se passionnant pour les nouvelles politiques, diplomatiques et militaires. Mais ailleurs, le même Juvénal déclare que ces femmes émancipées sont fort peu nombreuses : voilà qui infirme singulièrement les portraits satiriques qu’il a tracés avec tant de verve, et voilà aussi qui nous replonge dans l’incertitude. Une seule chose est sûre, c’est que nulle part nous n’apercevons d’interdictions formulées par la loi. A part les fonctions publiques, il n’y a pas de profession dont les hommes se soient réservé le monopole. Les femmes ont eu la faculté de les exercer toutes, faculté dont elles ont profité plus ou moins selon l’avantage qu’elles y trouvaient, mais dont, en théorie, rien ne les privait. A cet égard, la société romaine parait à la fois en avance et en retard, sinon sur la nôtre, au moins sur celle de nos pères : en retard, puisqu’en fait les femmes cherchaient moins à pénétrer dans les professions masculines ; en avance, parce que ces mêmes professions leur étaient plus librement accessibles. Elles avaient plus de droits, encore qu’elles en usassent moins. :