Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lointain de la mer et les pentes parfumées de l’Hymette. Delphes est un site grandiose et tragique. Dans la sombre gorge de la Phocide, au fond d’un gouffre de rochers à pic, la montagne d’Apollon se blottit contre la muraille verticale du Parnasse, comme un aigle effrayé par la foudre. De loin, elle paraît petite, à cause des colosses qui l’entourent ; de plus près, elle grandit peu à peu. À côté d’elle, entre le Parnasse et le mont Kirphis, le torrent du Pleistos sort d’une sinistre anfractuosité et gronde sous un chaos de rochers. Nul horizon ; un sol fiévreux, crevassé, et partout la menace de cimes surplombantes, d’où les tremblemens de terre font rouler des blocs énormes. Par ces sommets lancés au ciel, comme par ces profonds abîmes, la terre témoigne ici de sa puissance volcanique de création et de destruction. Pourquoi le Dieu de la lumière avait-il choisi pour séjour cet endroit terrible ? Comme les voyageurs modernes, les pèlerins antiques, venant en longues théories par la plaine de Krissa, souffraient de cette sensation oppressante. Mais elle s’adoucissait, elle s’éclairait de fières images et de sentimens nobles à mesure qu’ils approchaient du but. Le lointain étincellement des marbres et des bronzes leur donnait un premier éblouissement. Ils traversaient le faubourg de Mar-maria, ombragé d’oliviers et de frênes, et montaient la Voie Sacrée. Là ils saluaient le monument de Marathon avec ses combattans d’airain et les héros éponymes d’Athènes, et, en face de lui, le monument des Spartiates, en mémoire de la victoire d’Aigos-Potamos, placé là par les Lacédémoniens comme pour défier leurs rivaux, avec Zeus couronnant le roi Lysandre. Les pèlerins montaient, montaient toujours la large voie qui serpente en lacets entre les bouquets de lauriers et de myrtes. Les trésors des villes ennemies, forcées de se réconcilier devant le Dieu commun, leur donnaient des émotions diverses. Ils N saluaient la colonne des Thyiades, le trésor des Rhodiens, le trépied de Platées, la Victoire messénienne et les gracieuses Cariatides des Gnidiens. Lorsqu’ils avaient vu la fontaine argentée de Castalie jaillir d’une échancrure du rocher de Phlemboukos, ils se trouvaient enfin devant le temple d’Apollon, couvert de boucliers et de trophées, temple unique, audacieusement posé entre les roches escarpées des Phaedriades (les Resplendissantes) que le soleil couchant colore de teintes violettes et pourpres. Alors les pèlerins, secoués d’une commotion profonde,