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elle ne change pas grand’chose à la situation. Yuan Chi Kaï était déjà, depuis deux ans, président provisoire de la République, il en devient président définitif : nous espérons qu’on n’aura pas à dire de la Chine ce qu’on a dit quelquefois de la France, à savoir qu’il n’y a que le provisoire qui y dure, et que Yuan Chi Kaï sera vraiment consolidé par le vote du Parlement. Mais le Parlement chinois est-il une force ? N’est-il pas seulement une façade, derrière laquelle il n’y a rien ? Ce parlement corrompu et domestiqué par Yuan Chi Kaï ne saurait lui donner ni popularité, ni solidité, ni autorité. La force du dictateur n’est pas là ; elle est en lui-même, en lui seul. Cet habile homme qui, jeune encore, a déjà joué tous les rôles et s’y est prêté toujours avec souplesse, souvent avec énergie, parfois avec une implacable dureté, est certainement capable d’en jouer un de plus. Mais comment le jouera-t-il ? Nous le verrons à l’œuvre.

Il vient de traverser une crise redoutable, qui aurait pu fort mal tourner pour lui et pour la jeune République, et dans laquelle, bien qu’Usaient été momentanément conjurés, on a pu apercevoir les deux dangers permanens de la Chine actuelle : le danger intérieur, qui est le démembrement de l’Empire et le danger extérieur, qui est l’intervention du Japon. Il y a plusieurs Chines en Chine, ce qui n’est pas pour surprendre, étant donnée l’immensité du pays ; mais, si on néglige d’autres divisions, il y a le Nord et le Sud qui ont un caractère et des prétentions opposés. C’est au Sud que la révolution a éclaté. Les révolutionnaires vainqueurs ont essayé d’y transporter le siège du gouvernement : ils auraient voulu que Yuan Chi Kaï s’y transportât lui-même, mais il s’est méfié d’un tel projet et, sachant bien que sa force à lui était au Nord, il y est’resté. Le Sud s’est révolté et, pendant quelques jours, on s’est demandé de quel côté se manifesterait décidément la fortune des armes. Le Nord a eu le dessus ; Yuan est demeuré le maître de la situation, mais il n’en est pas le maître absolu, incontesté, et l’entreprise qui a échoué cette fois pourrait bien réussir une autre. Au cours du conflit armé, quelques Japonais ont été tués, dans des conditions qui ne permettaient pas d’attribuer leur mort au simple hasard de la guerre. A Tokio même, un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères a été assassiné dans des conditions mystérieuses, qu’à tort ou à raison l’imagination populaire a rattachées aux événemens chinois. L’émotion, l’irritation, la colère ont été extrêmement vives au Japon et, sous la menace d’un débarquement qui était tout préparé, le gouvernement de Tokio a impérieusement exigé des excuses qui devaient prendre la