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Les socialistes ne l’ont pas entendu ainsi ; ils ont exigé la remise à huitaine, et le gouvernement les a appuyés. M. le président du Conseil a vu une « manœuvre » dans la proposition si simple, si naturelle de M. Reinach, et il s’y est opposé. La Chambre lui a donné raison, comme Pandore à son brigadier. Il a donc fallu attendre huit jours les renseignemens statistiques que M. Maginot, sous-secrétaire d’État à la Guerre, a enfin apportés à la tribune et qui ont pu atténuer en quelque mesure les inquiétudes du pays. La Chambre a écouté attentivement les chiffres que M. Maginot lui présentait avec une bonne foi évidente, et la séance se serait terminée sans encombre, si M. le sous-secrétaire d’État, allant au fond des choses, c’est-à-dire des intentions, n’avait pas terminé son intéressante communication par quelques mots relatifs à la loi de trois ans. Tout le monde sentait qu’elle était en cause, qu’on avait expressément voulu l’y mettre, que certains le voulaient encore et qu’il était indispensable de dire un mot pour manifester à son égard la volonté persistante du gouvernement. Ce mot, M. le sous-secrétaire d’État l’a dit très fermement. A la tribune en effet et dans ses actes publics, le gouvernement se montre toujours partisan de la loi de trois ans, bien qu’il se réserve notoirement d’en soutenir les adversaires dans les prochaines élections : contradiction déconcertante, qui prouve que, s’il comprend son devoir, il n’a pas la force de le remplir jusqu’au bout. M. Maginot a donc déclaré qu’on ne pouvait pas « décemment » croire qu’après avoir voté la loi militaire, la Chambre la retirerait au bout de quelques mois. Décemment ! Cet adverbe a déchaîné la foudre. Elle a grondé sur les bancs de l’extrême gauche. Les mots vifs se sont croisés. M. Sembat a demandé si M. Maginot avait parlé avec l’adhésion du gouvernement. Ce qui donne lieu de le croire, c’est que la phrase sensationnelle n’a pas été improvisée : elle était écrite. Au surplus, il n’a bientôt pu y avoir aucun doute à ce sujet lorsque, M. le sous-secrétaire d’État étant revenu à son banc, M. le président du Conseil et M. le ministre de la Guerre lui ont serré ostensiblement la main. « Cette poignée de main sera à l’Officiel, » a dit M. Barthou. Elle a augmenté violemment l’émotion de l’extrême gauche, et ces mêmes socialistes qui, huit jours auparavant, avaient renvoyé la suite de la discussion à huitaine, lorsqu’il ne s’agissait que de la santé de nos soldats et de l’angoisse de leurs familles, ont impérieusement demandé que, cette fois, elle eût lieu à la séance suivante, afin que le gouvernement s’expliquât. L’affaire était trop grave ! on ne pouvait pas attendre huit jours. La bataille s’annonçait donc comme devant être ardente, pas-