Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la région, la mentalité des habitans, la situation des forteresses et leur matériel, les arrivées et les déplacemens des troupes, aussi bien que sur les ressources et les forces militaires de la Belgique. Les Belges connaissaient les manœuvres exécutées par les Allemands le long de la frontière luxembourgeoise et de la leur, les tentatives de mainmise sur leurs chemins de fer, l’établissement des camps d’Eisenborn à Malmédy qui était une menace sérieuse contre la neutralité belge : il permettait, en effet, à 80 000 hommes au moins de s’élancer tout à coup dans la vallée de la Meuse et d’assiéger Liège et Namur, puis de gagner rapidement la frontière française et d’arriver en peu de jours sur Maubeuge où ils auraient refoulé nos troupes de couverture et empêché et bouleversé notre concentration. C’était, en réalité, comme le démontre particulièrement l’ouvrage si remarquable de MM. Maxime Lecomte et du lieutenant-colonel Camille Lévi[1] auquel je renvoie le lecteur, « c’était la zone de rassemblement de l’avant-garde stratégique de la masse allemande du Nord, puis des formations de réserve de cette armée. »

On savait donc que les Allemands, croyant pouvoir compter sur l’indifférence et la faiblesse des Belges, choisiraient l’occasion opportune pour entrer en Belgique au mépris des traités, et se jeter à l’improviste sur les Français sans défiance. Suivant eux, Liège et Namur n’opposeraient aucune résistance, et l’entrée sur le territoire français se ferait avec une facilité foudroyante. Les officiers de l’état-major allemand n’hésitaient pas à dire que tout l’effort devait se porter contre l’armée française, sans passer par les mailles de ses forts, et qu’en conséquence, la violation de la neutralité belge s’imposait. Ils ajoutaient audacieusement que l’opération était même dans l’intérêt des Belges, qu’ils croyaient incapables de défendre suffisamment leur neutralité. Le général Maitrot avait vu juste quand il écrivait en 1912 : « Tout l’effort des Allemands se fera, à droite des provinces rhénanes et du Palatinat sur la Meuse, à travers la Belgique et le Luxembourg, » pour atteindre aussi rapidement que possible le territoire français, en se contentant de mettre le siège devant les têtes de ponts de Liège et de Namur. Il faut rappeler aussi le mot favori du maréchal de Moltke : « Une armée d’invasion par la Belgique facilitera la marche des

  1. Neutralité belge et Invasion allemande, 1 vol. in-8 avec cartes et croquis. Librairie Lavauzelle, 1914.