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un Turc réussirait là où les Arabes avaient échoué. Toutes les chances de succès que la prévoyance la plus active peut assurer à un souverain, Mahomet II les mit de son côté avant de dresser ses batteries devant les murs théodosiens. Dans l’exécution, il se révéla général habile ; admirable entraîneur d’hommes, il exigea de ses troupes l’ordre et la discipline ; en artillerie, il fut un novateur ; l’assaut final fut préparé et dirigé avec une science et une énergie dignes d’un grand capitaine.

Le dernier héritier des Césars ne se montra pas indigne de la grande lignée qui allait se terminer avec lui. Il déploya, pour conjurer le danger, une noble activité, cherchant des alliances, conjurant les princes de la Chrétienté de ne pas laisser périr son trône et sa ville. Pendant le siège, il fut royalement brave, toujours le premier aux remparts, courant sans cesse, sur sa jument arabe, partout où sa présence pouvait ranimer les courages ; il fit preuve de fermeté, de tact politique et d’esprit d’organisation. Pas un instant, il ne s’abandonna lui-même. Il eut, jusqu’au degré héroïque, la vertu d’espérance ; il aurait pu fuir, il aurait pu obtenir, après l’échec des premiers assauts turcs, une capitulation honorable que son ennemi lui offrait ; il préféra la lutte jusqu’à la mort. Un prince a toujours, dans une pareille extrémité, des conseillers pusillanimes qui savent lui démontrer que le parti le plus prudent est aussi le plus sage ; l’auteur anonyme de la Chronique moscovite, qui fut sans doute un témoin oculaire du siège, nous raconte que, dans l’entourage du Basileus, on lui remontrait que l’intérêt même de son empire était qu’il s’embarquât sur les galères génoises et qu’il allât chercher le secours de son frère le despote de Morée, des Albanais et de leur terrible Scanderbeg, de Jean Hunyad, du Pape et des princes chrétiens. L’empereur, dit la chronique, écouta en silence ses conseillers et leur fit cette réponse : « Votre conseil est excellent. Je vous en remercie. Je sais combien la démarche que vous me proposez d’accomplir pourrait être utile à notre cause, puisque, ainsi que vous le dites fort bien, tout peut arriver, mais jamais je ne me déciderai à abandonner dans une telle infortune mon clergé, les saintes églises de la capitale, mon trône et mon peuple. Que dirait de moi l’univers ? Je vous supplie, au contraire, de me demander de ne pas vous abandonner. Oui, je désire mourir ici