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avec vous tous [1]. » Quand il ne resta plus à sauver que l’honneur du nom chrétien et du nom romain, Constantin tira son épée et se fit tuer en combattant sur la brèche de la porte Saint-Romain. En vérité, le dernier des Césars n’inspire pas seulement la pitié, mais aussi l’admiration : c’est une belle figure de l’histoire.

Chez l’empereur Paléologue, la volonté de ne pas périr fut égale à l’ardeur de vaincre qui animait son adversaire, mais les moyens d’action n’étaient pas égaux. Le sultan commandait une armée d’au moins 150 000 hommes, dont 12 000 Janissaires. Les Janissaires étaient alors la plus redoutable troupe organisée qu’il y eût en Europe. C’étaient des soldats de métier, enfans chrétiens dérobés ou livrés en tribut par les peuples vaincus et convertis à l’Islam ; sans famille, sans patrie, ils ne connaissaient que le Sultan et la Foi ; ils étaient constamment entraînés à la guerre et leurs imâms entretenaient chez eux le fanatisme musulman.

L’armée du Sultan n’était donc pas composée uniquement de soldats de race turque ; outre les Janissaires, Mahomet II commandait aux contingens des princes et des peuples chrétiens, sujets ou vassaux de l’empire : c’étaient environ 30 000 hommes. Beaucoup parmi les plus habiles conseillers de Mahomet II étaient chrétiens ou renégats. Zagan-pacha, le plus ardent de ses lieutenans, était un Albanais renégat ; son amiral, Baltoglou, un Bulgare renégat ; Orban, le fondeur des grosses bombardes, un transfuge hongrois ; les sapeurs qu’il chargea de creuser des mines sous les remparts ennemis étaient des Serbes ; chrétien aussi l’ingénieur qui fit passer les vaisseaux par-dessus les collines. L’intérêt ou la nécessité avait amené ces hommes dans le camp turc. Il ne faut pas se représenter les Turcs comme tout à fait étrangers aux Grecs ou aux autres peuples chrétiens du Balkan ; des mariages avaient uni les maisons régnantes, des princes fugitifs avaient trouvé asile dans les cours rivales. Un prince turc nommé Orkhan combattit en brave sur les remparts de Constantinople. Déjà, au XIIIe siècle, Isaac Comnène avait passé une partie de sa vie à la cour du Sultan d’Iconium ; son fils aîné, frère du fameux Andronic II, avait épousé la fille d’un émir musulman. Au XIVe siècle, pour la première fois, on vit un

  1. Schlumberger, p. 188.