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entre nos mains et celles des Anglais, partout où les alliés se présentent pour les revendiquer. Il en est de même en Asie pour la portion de la Chine que l’Allemagne s’était attribuée et que le Japon reprend avec la plus grande facilité. Que va-t-il survivre de cet empire colonial ?

La rapidité de la croissance est un danger pour les Etats comme pour les individus. Celle de l’Allemagne, depuis 1871, a paru dépasser même ses espérances : mais elle a voulu trop embrasser. L’homme qui fut le véritable fondateur du nouvel Empire le détournait des aventures au delà des océans. N’était-ce pas lui aussi qui disait que les affaires balkaniques ne valaient pas les os d’un grenadier poméranien ? Ses successeurs se sont bien écartés de ces principes : ils ont fait leur la politique anti-slave de l’Autriche, ils ont proclamé que l’avenir de l’Allemagne était sur les mers. C’est par ces ambitions qu’elle a heurté l’Angleterre et mécontenté ses propres alliés, les Italiens, en leur donnant à entendre qu’elle avait besoin de Trieste et que jamais elle ne laisserait les clefs de l’Adriatique entre leurs mains.

Les résultats de cette double erreur politique viennent de se manifester. Les conséquences des fautes économiques ne sont pas moins graves. C’est à cause d’un développement démesuré de son commerce extérieur que l’Allemagne souffre profondément dans son industrie ; c’est parce qu’elle a eu recours d’une façon excessive au crédit pour mettre sur pied des entreprises trop vastes, que tout l’édifice de la banque et de la circulation fiduciaire plie sous le poids d’engagemens trop lourds. Dans sa marche forcée vers le but qu’elle s’était assigné, cette nation s’appuyait sur des conceptions qui méprisent ou ignorent les autres ; elle semble avoir agi sur ce terrain comme elle le fit lorsqu’après avoir violé la neutralité belge, elle lança ses armées sur la route de Paris. De même qu’elle comptait anéantir les troupes de ses adversaires, elle prétendait, sur les marchés commerciaux, tout balayer devant elle et supprimer la concurrence. Il lui faudra longtemps pour rebâtir ce qu’elle aura détruit de ses propres mains.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.