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raillant Prokesch de ses mensonges autant qu’il le blâme de ses violences : M. de Prokesch croit encore au mensonge, « à l’ancienne et surannée théorie du mensonge en diplomatie ! » le « sentiment des simples convenances » devrait l’avertir pourtant combien le manque de franchise est une maladresse ! et Bismarck d’ajouter : « Il faut avoir vécu longtemps dans ce monde diplomatique d’ici pour mesurer ce que l’on perd à recourir à des moyens qui répugnent au sentiment des simples convenances. » Cette phrase, de tous points admirable, est du 8 mars 1853 : Bismarck vivait depuis vingt-deux mois tout juste « dans ce monde diplomatique. »


Dès cette époque, il avait en tête l’idée qui ferait toute sa vie et, de 1853 à 1859, il allait étudier et découvrir les moyens de la réaliser. L’idée était fort simple : il voulait conquérir à la Prusse et à son roi la première place en Allemagne d’abord, en Europe ensuite. En Allemagne, la Prusse de 1853 était sous l’ombre de l’Autriche ; en Europe, sous la menace de la France et de la Russie. Evinçant l’Autriche à Sadowa, abattant la France à Sedan, jouant la Russie au Congrès de Berlin, Bismarck mit vingt-cinq ans à peine à réussir ce grand ouvrage dont il dressait le plan complet en 1859, quand les huit années de Francfort lui eurent enseigné les méthodes et les conditions de sa Realpolitik.

C’est dans son « Rapport magnifique, » — Prachthericht, disent les Allemands, — de mars 1859, que l’on peut trouver réunis, rangés et comme fourbis tous les instrumens de cette Realpolitik ; durant trente années (1859-1890), jusqu’à la chute de Bismarck, ils allaient être maniés par le maitre et donner les résultats que l’on sait ; durant vingt années encore (1890-1909), les mains moins habiles de ses successeurs allaient en user pour le maintien de son œuvre ; avec le prince de Bülow, tombait, en 1909, le dernier des Bismarckiens ; de 1909 à 1914, en moins de cinq années, la politique de Guillaume à conduisit l’Allemagne au point où nous la voyons aujourd’hui.

En son Prachthericht, Bismarck exposait que « depuis 1851, les gens de Vienne avaient conçu le projet de donner à l’Autriche, par le moyen de la constitution fédérale, cette hégémonie