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livres, onze sous ; entretien de la maison, dix-neuf francs, dix-sept sous, un demi-liard, etc.... » Il y en a pour 315 francs, cent sous, un demi-liard, au mois de février 1843 : je ne sais si le poète fit des observations.

Une autre femme que Juliette l’eût, si je ne me trompe, envoyé promener ; mais aussi je crois qu’un autre homme, Juliette l’eût éconduit : c’était, et fût-il parcimonieux, Victor Hugo. Il n’a point de délicatesse. Il lui rappelle ses fautes avec une obstination régulière. Il lui dédie le poème de « la femme qui tombe » et qu’il ne veut pas qu’on insulte. Va-t-elle se rebiffer ? Pas du tout ! Elle lit ce poème et l’inonde de ses larmes complaisantes. Elle le lit à une amie : elle pleure encore ; l’amie également. Elle coud ce poème dans un morceau de soie blanche qu’elle portera désormais comme un scapulaire sur la poitrine. Voilà pour la contrition. Quant à la pénitence : pauvreté, frugalité, solitude. Le maître n’autorise pas Juliette à sortir ; il lui défend d’aller à la promenade et pareillement de recevoir personne. Elle s’ennuie ? Eh bien ! dans sa petite chambre, n’a-t-elle point à regarder les portraits de son amant ? n’a-t-elle pas à lire les ouvrages de son amant ? n’a-t-elle pas à copier les brouillons de son amant ? Que lui faut-il, mon Dieu, que lui faut-il ? et, si elle n’est pas contente, quelle frénésie de dissipation !... Cette existence durement réparatrice dura des années. Juliette, presque toujours, se résignait et même trouvait à se féliciter de son supplice : « Tu feras de moi, écrit-elle au despote, une femme à l’abri de la misère et de la prostitution ; oui, tu me rendras ce que j’étais avant ma chute, une honnête femme... » Un jour cependant, elle perdit patience. Et quel entrain dans la révolte !,.. « J’ai eu la stupidité de me laisser mener comme un chien de basse-cour ; de la soupe, une niche, une chaîne, voilà mon lot ! Il y a pourtant des chiens qu’on mène avec soi ; mais moi, je n’ai pas tant de bonheur ! Ma chaîne est trop fortement rivée pour que vous ayez l’intention de la détacher... » Et puis : « En fait de distractions intérieures, j’ai la distraction de lire Le Moniteur ! Ce divertissement mériterait de figurer au nombre de ceux qu’on donnait à Marie de Neubourg. Lire Le Moniteur, mâtin, c’est crânement chouette et cela monte fameusement l’imagination. Il ne manque plus que Le Constitutionnel pour me faire pousser des cucurbitacées jusque dans le nez ! » Car il suffisait que se relâchât le moins du monde la contrainte de son esprit pour que Juliette revînt à ses anciennes habitudes de langage et de geste. Alors, Victor Hugo la blâmait, sans doute ; mais il la sentait « peuple » et goûtait bien cet agrément d’une verte nature. Elle le