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16 REVUE DES DEUX MONDES. filleule; et le bonheur de Glaire m’est infiniment précieux et doux. Comme elle revit avec courage, comme elle accepte avec élan, une autre façon d’être satisfaite! Cette enfant qui causait sa peine et sa honte devient sa fierté, sa joie, sa raison d’exister; l’homme qu’elle croyait indispensable à son cœur, ne lui manque plus, est oublié, et de toute cette épreuve, une Claire plus forte, plus belle, plus active, s’élance avec confiance vers un avenir qu’elle voit aussi clair que son nom charmant. La joie naît-elle de la souffrance ? Et à son tour, d’un mou- vement aussi régulier que celui qui fait tourner les mondes, le bonheur n’enfante-il que la peine? ♦

  • *

J’ai reçu une bonne lettre de Jimmy que l’on me renvoie de Kervenargan et qui est de vieille date. En apprenant la mort de Jamine, il m’a télégraphié plusieurs fois ; la nouvelle lui était tardivement parvenue, car il voyageait au Mexique et d’adresse en adresse, une dépêche courait après lui : « Ma chère Juliette, vous savez combien j’aimais notre petite Jamine, et c’est avec une très profonde et sincère douleur que j’apprends que je ne la reverrai jamais. Mon cœur se serre à l’idée de ce petit être rayonnant disparaissant si tôt dans l’ombre; elle était l’allégorie des promesses, tant il y avait dans son esprit de jolis dons variés, et en son visage et son corps tant de beautés inachevées dont l’ébauche avait déjà tant de grâce. Quant à son cher cœur, si doux, si tendre, si bon, rien n’aurait pu ajouter à sa perfection émouvante; après le vôtre, Juliette, le plus joli cœur du monde était bien celui de Jamine et entre eux deux j’ai bien souvent trouvé de charmantes et fraternelles ressemblances. « C’est pourquoi, Juliette, je sais et je comprends ce que doit peser votre peine ; c’est une vraie petite sœur que vous perdez et j’ai peur que malgré votre maman, que malgré vos jamies, vous ne vous sentiez pendant longtemps bien seule et dépareillée ainsi que la survivante d’une couple de colombes. <( Que ne suis-jelà 1 J’ai la vanité très douce de croire que je ne vous serais pas inutile. Je vous parlerais d’elle, et puis je me tairais, et c’est vous qui me raconteriez tout ce que, d’elle encore, je ne sais pas. Nous relirions ses lettres et ses vers inachevés; nous évoquerions sa douce petite ombre, et sensible à un sou-