Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et même leurs yeux humides, mettaient, avec un gros chagrin, une reconnaissance infinie.

De Meaux à Paris, le retour se fît lentement, pour épargner aux blessés de trop cruelles souffrances. Ils souffraient néanmoins, surtout l’un des Allemands. De son camion, qui nous précédait, ses plaintes et l’odeur affreuse de ses plaies arrivaient jusqu’à nous : « Birne ! Birne ! » gémissait-il, « une poire ! » On la trouva dans un village. Plus d’une fois, nous dûmes faire halle sur le triste chemin. Un blessé, puis un autre, implorait quelques minutes de répit. Alors, de braves gens s’empressaient pour voir les soldats. Ils leur serraient les mains, leur offraient du tabac ou des fruits ; des enfans leur donnaient des fleurs. Une rose derrière l’oreille, à l’orientale, couronnés de leur turban de toile bise, assis très droit et saluant d’un air digne, les Marocains avaient l’air de deux petits princes noirs.

La nuit était tombée quand nous traversâmes Paris. Sur le pavé, nous fûmes obligés de ralentir encore. Enfin, l’hôpital ouvrit ses portes devant ses premiers hôtes. Attendus avec impatience, ils furent accueillis avec tendresse. Des mains adroites et pieuses se hâtèrent de panser leurs blessures. Par ces premières gouttes de sang français, on eût dit que le séminaire de France était consacré pour la seconde fois.

……………………………………………..

Savez-vous en quoi consiste l’emploi de secrétaire de chirurgie ? On s’assied devant une petite table (à écrire), aussi près que possible d’une autre table (d’opérations), et, sous la dictée de l’opérateur, on écrit. On note des choses parfois horribles, mais bienfaisantes et bien faites, dont l’horreur peu à peu s’atténue et finit par s’effacer devant leur bienfait. Il n’y faut, au début, qu’un peu de courage, qui se change, très vite, en curiosité passionnée. On regarde, on écoute ; on rédige. Attentif aux moindres mots, aux moindres mouvemens du maître, on essaye de suivre à la fois sa pensée et sa main également promptes. De tels momens sont d’une véritable beauté, même pour un ignorant. Mais pour un croyant, certain soir, à la fin d’une opération terrible, quelle grandeur, tragique et sacrée, n’eut pas l’absolution dernière, apportée au patient, au mourant encore endormi, et, sur la table même, l’onction