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séjour de l’empereur qui dura encore toute l’année 1401, depuis le retour de Londres et presque toute l’année 1402, ce qui fait, avec les six ou sept derniers mois de 1400, une période de près de deux ans et demi. On aimerait à en connaître davantage ! Comment Manuel passait-il ses journées, ses longues soirées, trompant ses impatiences, ses tristes loisirs, quand il n’était point l’hôte du roi Charles VI, des princes du sang ou des hauts personnages de l’Etat ? En visites aux églises probablement et aux autres curiosités de la capitale ; en conversations avec des prêtres et des docteurs de haute érudition ; en travaux littéraires dans le genre de celui dont je viens de parler ; en une active et copieuse correspondance aussi avec les gouvernans et les lettrés de Constantinople. Il s’intéressait encore et surtout aux disputes d’écoles qui agitaient la Sorbonne. Nous voudrions savoir de même comment il s’accommodait des brumes glaciales du Nord et si le mal du pays, joint à tant d’écrasans soucis, n’assaillit point parfois, aux bords sombres de la Seine hivernale, cette âme impériale qui semble avoir été sage et forte. « Ses affaires, dit fort bien Lebeau, avançaient peu, malgré ses humbles et pressantes supplications auprès du Roi et de son Conseil pour qu’ils voulussent bien s’occuper quelquefois de l’objet qui l’avait amené à la Cour de France. » Hélas ! à Paris, les Ducs d’Orléans et de Bourgogne se disputaient âprement le pouvoir que le pauvre roi était incapable d’exercer et s’attachaient bien plus à se préparer à leurs luttes fratricides qu’à s’intéresser au pauvre souverain de Constantinople. Celui-ci et son hôte firent une nouvelle visite à Saint-Denys pour assister à la translation d’une relique dont le Duc de Berri avait fait présent aux religieux et qu’il avait fait mettre dans une châsse d’argent du poids de 250 marcs, merveilleusement ornée. C’était une relique insigne entre toutes : une partie de la tête et un des bras de saint Benoît que le duc avait obtenus à grand’peine de l’abbé de Saint-Benoît-sur-Loire !

Soudain, par un des plus extraordinaires retours de fortune de l’histoire, un coup de théâtre éclata comme la foudre et vint en une heure modifier du tout au tout la situation de l’auguste voyageur et autoriser à nouveau les plus radieuses espérances pour lui comme pour son peuple. La nouvelle de ce prodigieux événement ne semble être parvenue à l’empereur qu’au bout de plusieurs semaines, mais, comme on l’a dit,