Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

totale en ajoutant au sentiment général de compassion que leur malheur inspire un mouvement d’indignation contre les méchans qui permettent de nuire à autrui. On ne se borne pas à désirer de secourir les opprimés ; on veut les venger, et ce sentiment juste, à mesure qu’il s’éclairera, fera disparaître les oppresseurs de la surface de la terre, leur liera les bras et, après leur avoir ôté le pouvoir de nuire, leur en ôtera même la volonté. C’est encore pour arriver à ce but que Dieu a rendu très attrayantes les études qui manifestent les droits et les devoirs des hommes ou qui apprennent à soulager leurs maux. Les progrès dans ces études qui résultent du plaisir qu’on y trouve, étendent et étendront chaque jour le cercle de la bienfaisance, et diminueront sans cesse les maux de l’humanité.

Est-ce une chose difficile que de respecter les droits d’autrui, quand on s’est appliqué à les connaître ? Ce respect si naturel pour les droits de tous est cependant ce qui constitue la Vertu, et la Vertu pourrait faire disparaître presque tout le mal moral d’entre les hommes. Nous voulons tous qu’on respecte nos propres droits. Un sentiment intérieur nous crie que nous ne pouvons pas l’exiger, si nous violons ceux des autres. Nous nous sentons portés à réprimer l’injustice que nous voyons faire à un tiers. Quoi de plus simple que d’en conclure que nos injustices feraient naître le même mouvement chez les autres ? Il nous est donc manifeste que nous ne pouvons être injustes sans nous mettre en guerre avec tout le monde et que, seuls contre tous dans cette guerre, nous ne pourrions que succomber. Faut-il un grand effort pour préférer à cet état dangereux et pénible celui de la bienveillance universelle et de la paix intérieure ?

Il suffit donc des intérêts purement terrestres pour y inviter les hommes. Sans doute, le dogme de l’immortalité de l’âme est consolant et conforme à la raison, comme à nos désirs. Sans doute, il a une certaine élévation jusqu’à l’homme, élévation qui lui fait chérir la prolongation de son existence, s’occuper de ce qui sera quand il ne sera plus lui-même et bénir son Auteur. Mais nous pouvons conclure sans témérité, mes chers frères, de tout ce que nous venons de dire et de l’observation impartiale des choses humaines qu’une raison saine absoudrait la Providence de tout reproche, quand l’immortalité de l’âme ne nous serait pas démontrée, puisqu’il n’est pas vrai que, dans aucune hypothèse, le sort des méchans puisse être préférable à celui des