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traverse du moins la plaine : c’est la Saône. Mais la Saône ne mugit, ni ne gronde et ne blanchit pas en vagues écumantes. Et il n’y a pas de lac dans les environs. Il faut qu’à un certain moment, la vision se changeant en réminiscence, un autre paysage se soit substitué au paysage bourguignon, celui de Savoie, et qu’à l’image présente s’en soit ajoutée une autre évoquée par le souvenir. Lamartine s’est souvenu du paysage qu’il avait contemplé des hauteurs de Hautecombe : le Rhône y mugit, le lac du Bourget y étend ses eaux dormantes. Mais ce que Lamartine voit ou revoit, il est non moins vrai qu’il l’avait lu : colline, arbre, torrent, lac, vagues sont les élémens du paysage d’Ossian. « Je suis assis au sommet de la colline sur la mousse qui borde le torrent ; le feuillage d’un arbre antique frémit sur ma tête ; âmes pieds, les flots bourbeux du torrent roulent sur la bruyère ; plus bas, le lac présente une surface trouble et fangeuse… Il est midi, tout est calme ; je suis seul et la tristesse s’empare de mes pensées. » Et cela est de la littérature. Continuons : un son religieux s’élance « de la flèche gothique. » M. Reyssié qui, dans la Jeunesse de Lamartine, a poussé aussi loin que possible l’interprétation littérale et réaliste des vers de Lamartine et en a donné le commentaire local, est heureux de pouvoir préciser : « C’est l’angélus qui sonne à Sologny. » Mais il se désespère : « La flèche gothique, nous devons l’avouer, n’a jamais existé. » Elle existe : seulement, c’est dans Chateaubriand : « Au milieu de mes réflexions, l’heure venait frapper à coups mesurés dans la tour de la cathédrale gothique. » Du haut du Craz, et si loin que s’étende la vue, elle chercherait vainement à découvrir aucun « palais. » Lamartine ne s’est fait nul scrupule d’en introduire un. Et pourquoi non ? si ce palais faisait bien dans le paysage. Car on voit, maintenant, que ce paysage est composé, dirai-je : à la manière du paysage historique ? Lamartine, beaucoup plus conscient de son art qu’on ne l’a dit, à lui-même, dans le Ressouvenir du lac Léman, défini sa méthode de description :


Pour revoir en dedans je referme les yeux,
Et devant mes regards flottent à l’aventure,
Avec des pans de ciel, des lambeaux de nature.


On démêle ainsi les momens du travail qui s’est accompli dans l’esprit du poète et les apports successifs qui se sont