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de la terre dans la pureté du ciel tourangeau. On songe à tant d’autres qui marchèrent à ce même air, qui y moururent, esclaves volontaires qu’enchaînait ce chant de liberté. Il les allège, il les ranime, il leur donne la force d’aller jusqu’à la forêt de Montrichard. Là, la dernière halte les étale sous la futaie ; les repose à la fraîcheur du bois. Ils ont des jambes ensuite pour la dernière lieue, et quand ils débouchent dans la vallée du Cher, le pays déployé devant eux, les arbres de la rivière, et surtout les coteaux chargés de vigne leur agréent, leur promettent une population riche, leur couvert mis, un favorable accueil.

— Qui donc disait qu’il n’y avait pas de vin à Montrichard ? demande une voix.

Le vin rouge de Cheverny, le vin blanc de Montrichard sont deux thèmes qui nous mènent jusqu’aux portes de la ville. On s’époussette, on se cravate, on se boutonne pour faire une entrée convenable. Les musiciens vont au chariot-fourragère chercher leurs instrumens. Dix minutes au moins leur sont nécessaires pour descendre la grosse caisse, les basses, les contrebasses ; ils reviennent cahin-caha sous l’œil paternel du chef qui les gourmande en distribuant les partitions.


Montrichard, 21 juillet.

A peine les ordres donnés, la troupe se fractionne et s’émiette ; elle va, par morceaux, derrière les fourriers, gagner les places assignées dans le cantonnement ; la fonction militaire, — la marche, — est achevée ; ce sont maintenant les fonctions domestiques qui s’accomplissent ; on panse et on abreuve les chevaux, on prépare la soupe, on apporte le fourrage ; le maréchal des logis de jour réunit les noms des chevaux malades ; le brigadier de jour, les noms des hommes. Dans tout cela, moi, je ne parais pas, je ne dois pas intervenir. C’est pourquoi je baye aux corneilles dans la rue de la petite ville française. Le vieux pignon d’une maison de bois, l’encadrement Renaissance d’une fenêtre à meneau, un joli visage, des yeux purs de jeune fille, les cheveux bouclés d’un enfant, m’occupent çà et là et, comme on fait un bouquet chemin faisant, je cueille çà et là ces impressions.

Sur la place ensoleillée, les tilleuls que dessèche l’ardeur de midi exhalent une odeur voluptueuse. C’est le charme indolent