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de la Touraine qui s’envole dans ce parfum. C’est l’encens de la terre, c’en est la grâce, la paix et la félicité.

On sort de l’église, on en descend par l’escalier oblique qui borne à gauche l’enceinte du château, à droite une haute maison. Au fond, l’escalier ferme le décor, et c’est un tableau charmant que le défilé de ces Tourangelles en costume d’été. La scène est ancienne, la vie qui y circule est jeune. De l’une ni de l’autre les yeux charmés ne peuvent se détacher.

Time is money, dit-on en industrie ; mais cet aphorisme est faux en style militaire. Pour nous, soldats, le temps est sans valeur ; nous devons le dépenser sans compter. Il me faut une demi-heure pour remonter le long de la rue de Blois, jusqu’aux écuries de la première demi-batterie. On me rend compte là d’un accident arrivé au cheval aubère ; et comme la faute en est au harnachement, le bourrelier, assis sur un tas de fagots, coud déjà sur la bricole un morceau de peau de mouton. Un quart d’heure ensuite pour pousser jusqu’aux cuisines de l’autre section. Là, le cuisinier, très dévoué, mais, quoi que je puisse dire, noir de visage et graisseux d’habits, m’expose son menu et me fait approuver sa soupe à l’oseille, son rôti et ses haricots. Le vin n’est pas cher ; l’hôtesse, une bonne âme, donne la salade et les ingrédiens.

Le brigadier d’ordinaire lui a raconté l’histoire de la soupe au caillou :

Il y avait une fois un pauvre soldat qui n’avait pas d’argent pour sa provende et rien qu’une marmite avec de l’eau. Il mit dans cette eau un gros caillou et dit à l’hôtesse :

— Je vais donc manger de la soupe au caillou.

Il dit de même aux voisins de l’hôtesse ; on sut dans tout le village que le soldat allait manger de la soupe au caillou.

— Moi, je lui donnerai bien un peu de beurre, dit l’hôtesse.

— Moi, je te donnerai deux oignons, dit le voisin.

— Et moi, une tête de chou, dit un troisième.

Le charron donna un morceau de lard, le buraliste une petite saucisse, le cordonnier des abatis de poulet. Le soldat mis le tout sur le feu. Un brave homme lui apporta sa soupe :

— Merci, dit le soldat, la mienne est meilleure. Il retira le caillou qu’il jeta sur la route et se mit à manger.

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