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Il est quatre heures, les résultats des visites sont connus quanti je repasse place de l’Hôtel-de-Ville. Les ordres pour la marche de demain arrivent, je dicte les miens et quelques papiers à signer, un rapport à faire sur la mort de la jument « Vagabonde » achèvent de remplir mon conciliabule avec le maréchal des logis chef.

Déployons maintenant les cartes, traçons au crayon rouge l’itinéraire du Nord-Est au Sud-Ouest, nous passons de la feuille de Blois à la feuille de Loches. On dirait d’une aiguillée de fil cousant ensemble tous ces feuillets. On songe qu’en effet l’armée assemble entre elles et réunit ces parties du tout. Elle est le fil d’Ariane, grâce auquel la France se retrouve elle-même dans le labyrinthe national. Oui, nous la cousons, nous la rapiéçons la France, et d’autres coupent les fils à mesure que nous tirons l’aiguille.


Saint-Flovier, 6 août.

Une marche assez maussade, assez mal partie, difficile ensuite à activer et à égayer. Il est vrai que la colonne à cheval ne nous rattrapera pas de bonne heure, retardée qu’elle est par le pont suspendu. Il manquait des hommes au rassemblement ; les retardataires arrivaient à la dérobée, rasant les murs de la petite ville. La Creuse miroitait paisiblement au petit jour, on l’aurait crue plus lumineuse que le ciel, quand nous la passâmes. Deux écharpes de brouillard traînaient sur elle ; le soleil se levait derrière les arbres debout çà et là sur la crête du plateau.

Deux heures d’une allure triste, ensommeillée. Puis la chaleur croissante nous ranime enfin, et, comme des alouettes tirelirent, les soldats se mirent à chanter. Dès lors, moi, le chef, je n’eus plus qu’à les suivre et, botte à botte avec le docteur, à philosopher.

Nous avions parlé d’abord des belles chênaies du Berry ; du gui qui pousse sur les chênes plus rarement que sur les autres arbres ; du culte druidique ; de la cause inconnue pour laquelle ce gui plus rare était seul considéré comme sacré. De là, nous remontâmes à parler de la psychologie des primitifs. D’où vinrent, aux hommes de la préhistoire, les idées élémentaires d’armes, d’abris, de vêtemens, de tout ? Par quelle expérience millénaire la race s’éleva-t-elle jusqu’à cette conception ? Les sauvages sont le grand document à consulter sur ce problème.