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confiance et du sans-façon avec lequel il m’aborde et m’interrompt.

Au surplus, c’est le problème essentiel qu’il me pose en me présentant sa paire de souliers. Il me rappelle que les armées et les flottes se composent de gens instruits à vivre les uns pour les autres et, par là, préparés à mourir les uns pour les autres. La puissance de l’armement n’est pas tout. Ce qui importe, c’est le lien moral existant entre l’officier et le soldat ; ce lien se consolide quand l’un a souci de l’autre ; il prend ici pour symbole le fil que l’ouvrier bottier coudra tantôt par mon ordre entre cette semelle et cette empeigne...


13 août.

Je lis ceci : « Il n’y a pas de libre arbitre, mais nos actes résultent de la transformation dans notre organisme des mouvemens du monde extérieur. Pas de responsabilité : elle disparait dans la morbidité de laquelle procèdent seuls les crimes. La peine est une conception mystique, contraire à tout esprit scientifique ; la société, marâtre qui tolère ou favorise la genèse du crime, n’a pas le droit de punir ; le crime seul est sa victime ; il a le droit de se révolter contre elle. La peine de mort ne doit être appliquée qu’aux délinquans incurables dont la vie n’est qu’une source de malheur pour eux et les autres ; mais ce n’est pas alors la décapitation que l’on doit employer : c’est l’euthanasie... »

Sur certains points, je serais presque d’accord avec cet auteur, sauf que je ne sais ce que c’est que l’euthanasie, et que, n’ayant pas de dictionnaire sous la main, je dois me résigner à ignorer quelque temps encore sa manière de faire mourir les « délinquans incurables. » Passons, d’ailleurs, sur ce moyen exceptionnel. Ce que je ne lui accorde pas volontiers, ce sont ses moyens curatifs ordinaires. Il les borne à l’internement dans certaines maisons de santé, les unes asiles de fous et les autres asiles de dégénérés dangereux. La graduation de la pénalité se résume pour lui à des nuances de régime, — plus d’azote chez l’un et plus de carbone chez l’autre, — ou à la pression de la douche : dix kilogrammes pour le simple fou, vingt kilogrammes pour le dégénéré dangereux.

Il s’imagine, le bon jeune homme, déraciner le crime par ces procédés-là et il oublie que la criminalité augmente en