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France dans des proportions effrayantes depuis que ces théories débonnaires sont à l’ordre du jour.

Que ne sort-il de ses livres et de son laboratoire ? Que ne voit-il autour de lui la vie telle qu’elle est, et ce qu’a inventé avant lui, pour « l’hygiène sociale, » la sagesse collective des générations qui nous ont précédés ? Il reconnaîtrait alors l’armée dans la grande maison de santé où se font les redressemens moraux, où le jeune homme de vingt ans participe à une vie purement collective, solidaire, hygiénique et désintéressée ; il s’y met aux mains de praticiens qui ignorent les formules de nos modernes Diafoirus, mais qui savent quand même leur affaire, notre affaire, pour l’avoir apprise expérimentalement. Ces empiriques-là, moins timorés que le psychologue, ne craignent pas de faire de l’orthopédie, et pour redresser un homme, de le punir autant qu’il l’a mérité.

Au risque de retomber dans le vomissement du moi « autonome » qui n’existe plus de par la Faculté, ou dans l’enfantine illusion du « libre arbitre, » ils font de la répression systématique. Ils envoient à la salle de police sinon le « moi » autonome d’un soldat coupable, du moins la « colonie de neurones consciens » qui lui sert de personnalité.


Orléans, 25 août.

Je l’avais connu au ministère comme un excellent officier d’état-major, et je me souviens qu’une fois, au retour d’une marche militaire, nous jouâmes au bridge ensemble, de Bar-le-Duc jusqu’à Paris. Les hasards de la vie nous séparèrent ensuite ; ils nous rapprochent aujourd’hui en le ramenant avec son régiment au camp de Cercottes, faisant de moi son acolyte à cette manœuvre de garnison. Il adresse son ordre, non pas personnellement à moi, mais au « commandant de l’artillerie du parti Est. »

Rendez-vous à huit cents mètres à l’Ouest du moulin de Gidy ; j’y devrai être de ma personne à cinq heures du matin ; mes batteries n’arriveront qu’à cinq heures et demie. À cheval donc à trois heures et demie ; c’est l’heure fraîche de la nuit finissante et du premier matin. Des odeurs de feuillages, de fruits mûrs, le long des vergers, embaument l’air ; les sens ne perçoivent rien que de doux, rien que de pur, et c’est divin de sentir grandir en soi la vie et la force à mesure que le jour