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des hommes marcheraient gaiement, fraternellement, le long d’un chemin et que tout à coup, d’autres hommes, cachés, les cribleraient de mitraille et les faucheraient comme des épis.

Notre canonnade brutale les arrête ; ils jettent des tirailleurs dans les fossés et se hâtent d’abriter le gros des compagnies dans les plis du terrain. De notre côté, nous garnissons de coups de fusil la ligne du chemin de fer et voilà le combat noué.

Je me hâte de chercher un passage à niveau et crains de laisser un obstacle aussi sérieux que la voie ferrée entre ma batterie et le bataillon que je dois appuyer. Nouvelle position près de la maison du garde-barrière. De là, je vois les compagnies qui se déploient et refoulent devant elles l’adversaire à grands pas. Je les accompagne, non pas de mon mouvement, mais de mon feu et ne vois pas, quant à présent, de raison plausible pour chercher plus avant une autre position. Ces déplacemens d’une position à l’autre sont des instans d’arrêt pour l’action ; ce sont aussi des occasions de se faire voir et de tomber, sans savoir, sous le feu d’une batterie aux aguets.

Un temps mort, un calme dans la bataille : ce sont les arbitres qui épiloguent et se mettent d’accord entre eux.

La troupe que nous avons bousculée n’était qu’un flanc-garde ; mais elle est si bien refoulée, enfoncée, rejetée en débris sur le gros du dispositif de marche ennemi que le tribunal des conflits nous donne gain de cause. Il fait savoir aux chefs des Blancs que la continuation du mouvement commencé est devenue impossible ; il les invite à se pourvoir d’après la nature de notre attaque et l’étendue du terrain que nous avons conquis.

La résolution prise ne pouvait être que celle de la retraite ; et, en effet, voilà notre bataillon qui pousse de l’avant ; je le suis au ras des bois et viens près de la Roserie occuper une crête découverte d’où je domine au loin le champ de bataille. A nos pieds, la ferme de l’Etang-Neuf, qui est nôtre ; au loin, à peine visible derrière les arbres à fruits qui parsèment ici la plaine, et trahie cependant par la poussière qu’elle soulève, une colonne ennemie rétrograde sur Fouchères. Je la canonne, je la provoque ; elle m’oppose une artillerie bien empêchée, je pense, de me voir, couvert que je suis par le terrain, bien imprudente de s’exposer là sous mon feu, au lieu de chercher elle-même un couvert. Elle tire et je lui oppose un silence dédaigneux.

— Combien de coups ? dis-je au sous-chef artificier..