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un moment qu’on n’en arrive aux coups. Cependant, l’ordre se rétablit à mesure qu’on nous dépasse ; des lignes denses se succèdent, tambours et clairons battent et sonnent avec rage, tandis qu’à distance notre artillerie répond.

C’est le tableau final, l’apothéose de théâtre qu’on ne peut prolonger sans la rendre absurde et dont le déploiement même n’a d’autre sens que d’exciter et d’enivrer les soldats.

Sonnerie : Halte à la manœuvre.

Puis : Ralliement en campagne. On entend des ordres quand des chasseurs d’escorte nous arrivent. Le général en chef les a éparpillés tout autour de lui pour rameuter son monde. Il prescrit de rallier sur son fanion tricolore et dans la direction de Château-Miroir. Toute la machine s’ébranle, les tronçons de troupe se réunissent les uns aux autres ; souples, articulées, les unités passant au travers les unes des autres ; les colonels les ramassent, les placent, si bien qu’en un quart d’heure seulement les vingt mille hommes sont groupés.

Nous, derrière, en troisième ligne, nous ne voyons rien de ce qui se passe au centre : une parade, parait-il, pour la remise à un général d’une croix de commandeur. Le ban qu’ouvrent les tambours du régiment de droite est répété de proche en proche par tous les régimens. Même répétition quand le ban est fermé ; et l’on se disloque vers les cantonnemens dans une poussière si dense qu’on n’y voit pas à deux pas.


La Saussaie, 2 septembre.

A deux heures, l’officier d’état-major n’était pas encore arrivé à Villebougis, pour y faire la répartition du cantonnement. Plutôt que de l’attendre, j’ai jeté mon dévolu sur ce hameau écarté de la Saussaie auquel personne ne prétendra, bien sûr, et où nous trouverons du moins sans retard des abris pour couvrir nos chevaux, de l’eau pour les abreuver.

En effet, l’installation s’y fait sans encombre, bien au large ; et nos soldats éprouvent aussitôt la cordialité des habitans aux pots de vin qu’on leur fait vider. Il y a des œufs, du laitage, aucune auberge ; et comme nous n’avons dans notre train aucune cantine, comme nous n’appliquons pas non plus pour nous nourrir le système de la popote, le problème qui reste à résoudre est celui de nous nourrir. La bonne vieille chez qui je trouve un lit s’effraye d’une responsabilité pareille. Ce