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serait trop « d’embarras, » dit-elle, elle ne sait pas la cuisine ; sauf quand il vient des gens aux jours de fête ; elle ne fricasse de toute l’année ni poulet, ni lapin ; et surtout pour des messieurs comme nous, non vraiment, elle n’ose pas.

La voisine, heureusement, est moins timide, plus arrangeante. Une grande paysanne, bien verticale, au masque dantesque qu’encadre son mouchoir de cotonnade. Un de nos ordonnances qui servira à table fait auprès d’elle le marmiton et voilà enfin, servis à la lueur tremblante de la chandelle, la soupe au lait, les œufs, les haricots et le miel.

On fait pour les chevaux une orgie de fourrage. Un paysan va jusqu’à les abriter dans son feneau et, au bout d’une heure, ils ont à belles dents creusé une grotte à l’intérieur de ce foin. Le laitier qui sonne de la trompette et rappelle en vain au centre du hameau, s’en va bredouille ; le lait est bu par les soldats ; les gens n’ont rien à lui porter.


Mardilly, 1er septembre.

Nous arrivons en « parens pauvres » au château de Mardilly. La maison est pleine d’invités, en ce jour d’ouverture de la chasse ; et, si gracieux que soient les hôtes, il est certain que nous les gênons. Le châtelain, ancien officier de cavalerie, ouvre tout grands ses communs, son potager, sa cave ; il en résulte que tous les soldats seront abrités, abreuvés, que les pommes de terre ne leur coûteront rien.

Le régisseur nous nourrira et, comme les matières premières viennent du château, œufs, perdreaux, vins, liqueurs, nous n’aurons pas à nous occuper de notre menu. Par un jeu de réciprocité tout naturel, je fais dans l’après-midi une conférence sur le canon à tir rapide. Toujours la même conférence pour gens du monde et invités de château que j’improvisai une fois et que je répète maintenant à tout propos. D’abord, des explications générales sur le mécanisme : ouvrir la culasse, charger, mettre le feu. La question du pointage me mène à celle du recul ; j’explique comment le canon, dans sa course arrière, bande un ressort qui se détend pour le ramener ensuite en avant ; comment, dans ce retour automatique, l’affût reste rigoureusement immobile et le pointage est intégralement conservé. Après cela, un peu de manœuvre ; un simulacre de tir. Une heure entière a passé et, comme l’attention de mes