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hommes nécessaires, qui a de hautes vertus morales et des qualités matérielles, a reçu de Dieu une mission comme il advint pour le peuple d’Israël. Quand la haine et l’envie nous dénient cette mission, nous avons le droit absolu et même le devoir strict de saisir l’épée.


Or il se trouve que le peuple pourvu par Dieu d’une telle mission est à l’étroit dans ses frontières : et de cette autre circonstance, M. Brauns, — toujours du haut de la chaire, — conclut que, pour le mettre plus au large, des conflits peuvent s’imposer.

Du fait de sa mission divine et du fait de sa richesse en population, l’Allemagne tient des droits, — droits supérieurs aux anciens principes qui réglaient les rapports des peuples.


Il n’a pas été donné à ceux qui ont posé ces principes, explique M. Brauns, de voir le grandiose développement de la culture de peuples d’importance planétaire indépendans et juxtaposés, la construction parfaite de l’organisme de l’État, l’enchevêtrement et la complexité de toutes ces questions. C’est le résultat de la dernière évolution. Les problèmes économiques et sociaux de l’avenir ne se posent plus comme dans le passé… Si l’on étudie à fond la vie des peuples et des États, si l’on recherche les conditions de leur développement, si l’on explore les débuts de l’évolution de la civilisation de l’humanité tout entière ainsi que ses tendances actuelles, on sera amené à reconnaître qu’un peuple peut être forcé de recourir aux armes, même pour un but d’agression, afin d’épanouir, librement et indépendamment des autres peuples, la vie à laquelle il a droit, grâce à la saine fécondité de sa population et à ses aptitudes civilisatrices et morales[1].


L’éloquence religieuse, ainsi maniée, devient un instrument d’Etat. Elle ne va pas jusqu’à dire, comme l’affirmait à l’occasion de la Pentecôte un organe conservateur de Berlin, que cette fête est la fête de l’esprit allemand, et que l’Esprit-Saint et l’esprit allemand sont inséparables[2]. Mais si la correction théologique éloigne M. Brauns d’une phraséologie ridicule, je trouve peut-être plus dangereuse la subtile façon dont il sanctifie, à proprement parler, la mission de l’Allemagne et ses belliqueuses méthodes ; et ce n’est point seulement des écrits philosophiques d’outre-Rhin, mais de certains sermons également, que l’on peut dire, avec le très regretté Victor Delbos, que la doctrine n’y est qu’« un vernis intellectuel dont l’Allemagne recouvre la simple affirmation de sa cupidité et de ses instincts. »

  1. Nous empruntons ces citations au périodique dirigé par M. le chanoine Gaudeau : La Foi catholique, janvier-mars 1916, p. 29-35.
  2. Koelnische Volkszeitung, 15 juin 1916.