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le pain bénit sous la forme d’une brioche de forte taille, Louis XVI fouille dans sa poche, tire son couteau, l’ouvre et se coupe une tranche du gâteau, — à moins qu’il ne prenne pas tant de peines et qu’il morde à même la brioche. Tous les soirs, à neuf heures, il y a pique-nique à Versailles : le Roi et la Reine font porter chez Monsieur leur dîner qu’on réchauffe, tant bien que mal, sur un fourneau de fortune. Madame a rapporté, de sa maison de Montreuil, des petits oiseaux pris par elle au filet ; elle en compose une soupe dont elle détient la recette et qui se prépare sous ses yeux, non point dans la cuisine, mais dans son appartement[1].

Et, d’un bout à l’autre du vaste palais, c’est, à l’exemple des maîtres, le train de vie bourgeoise. Rien qui ressemble à ce que nous imaginons d’après les belles estampes que nous a laissées le XVIIIe siècle : jusqu’au milieu du jour, il y a, dans la galerie, défilé de frotteurs, de porteurs d’eau et de monteurs de bois ; même on y rencontre des bestiaux, car vaches, brebis, ânesses sont conduites, pour y donner leur lait, jusque dans l’appartement des princesses[2].

Ce qui paraît plus singulier encore, et, à vrai dire, inexplicable, c’est le livre tenu par le Roi des comptes de ses « petits appartemens, » avec la minutie que n’a point certainement de nos jours la plus honnête et la plus scrupuleuse servante d’un ménage d’employé. Est-ce à dire que nous ignorons tout de ce qu’était la vie de la famille royale, à Versailles, au temps des splendeurs ? Connaissant, par les états du personnel, la foule de serviteurs de tous rangs dont est entourée la personne du Roi, comment admettre que Louis XVI ait été même informé des menues dépenses qu’il mentionne dans ce journal ? Car il marque soigneusement les œufs frais achetés pendant le mois, les pourboires du porteur d’eau, le prix des ports de lettres, le linge remis à la blanchisseuse, — 49 nappes et 438 serviettes en juin 1775. — Il note les carafes cassées, — et on en casse ! — 249 en ce même mois de juin, 545 en juillet ! — Voici, en septembre, « deux harengs frais » cotés 3 livres, ce qui est un bon prix ; — « une corde pour le tournebroche de Fontainebleau, 1 livre 4 sols. » — Lisons au hasard : « Six paniers de

  1. Mémoires de Mme Campan.
  2. Consigne des appartemens du château de Versailles, publiée par Nolhac, le Château de Versailles sous Louis XV.