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retrouve plus à Paris « cette douceur, cet atticisme, cette urbanité qui en avaient fait si longtemps le charme et la grâce ; chacun parle haut et écoute peu[1]. »

À la Cour impériale, plus rien de l’aimable liberté, plus rien des familiarités et des gamineries de Versailles : un ennui superbe pèse sur les Tuileries ; tout y est somptueux et écrasant de magnificence, empreint de grandiose et de solennité ; mais comme on redoute d’y entrer, et comme on a hâte d’en sortir ! Les grands bals y ressemblent à des revues : les invités sont parqués suivant la couleur de leur billet, avec défense de circuler. L’Empereur et, l’Impératrice entrent en scène, suivis de leur cortège, prennent place sur une estrade d’où l’Empereur descend seul pour faire le tour de la galerie, ne parlant qu’aux femmes et seulement pour demander leur nom, — et quelquefois leur âge[2], A neuf heures, Leurs Majestés se retirent ; les consignes sont levées, on peut s’en aller : ouf !

L’intimité de la Cour est plus morne encore. Mme de Rémusat[3] nous a laissé d’un séjour à Fontainebleau un tableau consternant. Ceux qui ont les entrées peuvent se présenter, le soir, dans la galerie où se tient le cercle des souverains : on frappe à la porte ; le chambellan de service annonce ; l’Empereur ordonne : qu’il entre ! Le nouveau venu se glisse dans le salon et demeure debout contre la muraille à la suite des personnes introduites avant lui : les femmes, elles, exécutent dès la porte leurs trois révérences et s’assoient sans mot dire. Napoléon se promène de long en large, le plus souvent silencieusement, rêvant, sans se soucier de ce qui l’entoure. Il ne sait ou ne veut mettre personne à l’aise et s’étonne qu’on n’ait pas l’air de s’amuser. — « C’est chose singulière, dit-il, j’ai rassemblé à Fontainebleau beaucoup de monde ; j’ai réglé tous les plaisirs, et les visages sont allongés ; chacun a l’air bien fatigué et triste. — C’est, lui répond M. de Talleyrand, que le plaisir ne se mène pas au tambour et qu’ici, comme à l’armée, vous avez toujours l’air de commander : en avant, marche ! »

D’ailleurs l’Empereur tenait à ce que sa cour fût aussi grave qu’imposante. Lue Française qui avait vu Versailles et qui, revenant d’émigration, pénétra aux Tuileries impériales,

  1. V. du Bled, La Société française du XVIe au XXe siècle, VIIe série.
  2. Mémoires de la comtesse de Boigne, I, 274.
  3. Mémoires, III, 233.