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écrivait : « Cela avait grande façon dans un autre genre. »

Cet « autre genre » fut lancé par les « nouveaux riches, » — le terme, on l’a vu, est consacré dès 1802. On les persifle, on les raille, on les parodie sur les théâtres populaires ; — Madame Angot, poissarde millionnaire, vêtue de soie, couverte de point de Bruxelles, trônant sur de riches sofas et parlant argot, fait le maximum à la Porte-Saint-Martin ; mais on va chez eux, on s’y bouscule, on s’y piétine. Ah ! ce n’est plus de ces intérieurs d’autrefois, meublés vaille que vaille mais dont l’arrangement, — ou le désordre, — reflétait les goûts, l’originalité et jusqu’aux manies de la maîtresse du logis, comme cette vaste salle de Chenonceaux dont la vieille Mme Dupin avait fait son salon, sa salle à manger, son boudoir et sa chambre à coucher et où elle vivait, entourée de jeunes paysannes, sans heure fixe ni pour manger ni pour dormir[1] ; — ni comme le grand cabinet du magnifique hôtel de la duchesse de Châtillon, rue du Bac, où cette ex-très jolie femme avait groupé huit à dix pendules qui toutes marquaient une heure différente, accroché au plafond, en manière de lustre, une grande cage dorée remplie d’oiseaux qui, tout le long du jour, chantaient à plein bec, et encadré sa glace des portraits de tous les hommes que, au cours de sa galante jeunesse, la dame avait distingués[2] ; — c’était encore moins la patriarcale maison du brave Thouin, l’acolyte et le successeur de Buffon au Jardin des Plantes, qui, durant vingt ans, reçut, tous les dimanches, dans sa cuisine enfumée, la plus haute et la plus célèbre société de Paris, et où l’on voyait M, de Malesherbes, alors qu’il était garde des Sceaux, prenant place sur la huche à pain où il restait des heures entières[3]. — Chez les « nouveaux riches, » le tapissier en vogue a tout le mérite ; mais que c’est beau ! « Une multitude de réverbères éclaire la cour ; » tapis turcs et arbustes rares sur le perron et dans le vestibule ; tout l’appartement illuminé a giorno, est ouvert aux invités, y compris le boudoir et la salle de bains. À chaque arrivant la maîtresse de la maison dit : « Voulez-vous voir ma chambre ? » Et on passe en foule dans le sanctuaire : contre une glace immense est placé, sur une estrade, le lit entouré de candélabres à huit bougies, de vases antiques et

  1. Frenilly, 178.
  2. De Boigne, I, 216.
  3. Mémoires de La Reveillère-Lépeaux, I, 75.