Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’efface ; frappez, ça s’écaille… » disait déjà, il y a cinquante ans, le « raisonneur » de Maison Neuve. Quelle serait aujourd’hui son indignation devant nos maisons en béton aggloméré qui prétendent ressusciter Trianon à tous les étages, mais où, la nuit, on ne peut tousser, sans réveiller, tant sont frêles les cloisons, tous les locataires de l’immeuble.

Et, tandis que nous nous entassons dans ces fallacieuses demeures, le vieux Paris de nos pères est là, tout proche, avec ses honnêtes et solides maisons aux façades nobles, aux murs robustes, aux pièces vastes, aux plafonds élevés, aux larges escaliers de vraie pierre le long desquels se déroulent de belles rampes en vrai fer forgé. Elles ont la mine renfrognée et sombre, — mais c’est parce que nous les avons abandonnées ; l’arrêt qui les condamne est bref et sans appel : « quartiers impossibles ! » Soit ! Tout de même, lorsqu’on feuillette un Almanach Royal pour quelqu’une des années qui précédèrent la Révolution, le regard rencontre des mentions de ce genre : Monsieur l’abbé de Lattaignant, commandeur ecclésiastique des ordres royaux militaires et hospitaliers de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du Mont-Carmel, rue Saint-Sébastien, près du Pont-aux-choux, ou Messire Louis François de Paule Lefebvre d’Ormesson de Noyseau, président à mortier de la Grand’ Chambre du Parlement, rue de l’Egout Saint-Paul ; en dépit de l’inélégance des adresses qu’un commis de magasin ne voudrait pas aujourd’hui imprimer sur sa carte, on se prend à rêver de beaux logis aristocratiques, d’antichambres sévères et recueillies, de grands salons silencieux avec de larges cheminées où brûlent des troncs d’arbres, de doubles portes de chêne épaisses de quatre doigts, et l’on songe à la gêne qu’éprouveraient ceux qui habitaient ces vieilles rues « impossibles, » s’il leur fallait vivre, ne fût-ce qu’une semaine, dans la sonore camelote où, par vaniteuse recherche des apparences, nous nous plaisons à grouiller.

Il ne faut point voir en ceci un essai de réquisitoire contre le luxe, féconde expression de la richesse, mais contre l’ostentation « qui n’en est que la grimace. » Après tout, chacun se loge comme il lui convient, et le confort moderne a des partisans respectables. Là où on ne saurait trop le combattre, c’est quand il exerce ses ravages au détriment des monumens du passé. Le cas est fréquent dans nos provinces où des municipalités ignorantes, sinon hostiles par principe à tout ce qui vient