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de nos pères, prises, d’ailleurs, de cette frénésie moutonnière de calquer ce que font les villes riches, dilapident les finances de la commune à édifier des bâtisses aussi prétentieuses que ridicules, sous le prétexte d’améliorer. Le chef-lieu du département s’est endetté pour se mettre « à l’instar de Paris ; » il a voulu de « grandes artères, » un lycée de filles, une bourse du travail et un hôtel terminus. Il a fallu, pour cela, renverser des vieux quartiers qui avaient vu l’histoire ; l’effet, du reste, n’est pas ce qu’on attendait ; les indigènes sont flattés, mais déroutés de leurs habitudes et les touristes qui, jadis, affluaient, passent maintenant sans séjourner, ayant vu ailleurs, et en mieux, des hôtels terminus, des lycées de filles et des « grandes artères. » La sous-préfecture se ruinera, mais elle se mettra « à l’instar » du chef-lieu, et le résultat est déplorable. Je sais, entre autres, une petite ville ancienne qui serait charmante encore avec ses rues tortueuses, ses toits roux, ses maisons vieillotes et ses fontaines rococo, si, afin de montrer qu’on n’est pas arriéré, on n’avait rasé jusqu’au fond des cryptes une chapelle du XVe siècle, seul vestige intéressant qui subsistât du passé de la cité, pour élever à sa place un hôtel des postes modern-style, si blanc, si cru, si laid, si baroque, si contourné, si insolent, si exotique et si « contresens, » qu’il a l’air d’avoir été transplanté là, tout bâti, des nouveaux quartiers de Leipzig ou de Francfort. Encore trois ou quatre « embellissemens » de ce genre et la petite ville aura perdu tout attrait, toute la physionomie propre qui la distinguait de ses voisines. Fassent le ciel et les « urbanistes » que la reconstruction des localités détruites par la mitraille allemande soit confiée à des architectes soucieux de ne pas donner à ces ressuscitées figure de parvenues, et de leur épargner « la peine de porter à jamais le deuil de leur caractère et de leur beauté[1]. » C’est là une question qui n’est pas sans préoccuper ceux qui professent l’amour du pittoresque et le respect de la tradition : elle nous entraînerait trop loin de cette « douceur de vivre » que se vantaient d’avoir connue nos aïeux et dont nous essaierons d’isoler et d’analyser, en quelque sorte, les divers élémens.


LENÔTRE.

  1. Pour relever les ruines, par M. Joseph Dassonville, Les Études, janvier 1917.