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l’Angleterre. On peut constater maintenant que le simple espoir de voir s’établir entre elle et nous des relations cordiales n’a guère été justifié par les faits [1]. On avait lieu d’être plus optimiste en ce qui concerne les rapports avec la Russie au moment où l’on était heureusement sorti de la crise survenue lors de l’affaire de la Bosnie. » Ici, M. de Bülow se rassure trop facilement, car cette affaire avait laissé au cœur des Russes le plus amer ressentiment, et les apparences seules, pour les esprits légers, pouvaient faire croire le contraire.

L’ancien chancelier reconnaît qu’entre temps de nouveaux sujets de conflits avaient surgi entre la Russie et l’Autriche-Hongrie à la suite des deux guerres des Balkans, de la guerre de la Turquie contre la Bulgarie, de la Serbie contre la Grèce et de la reprise des hostilités entre les peuples balkaniques. « La qualité des rapports entre la Russie et l’Allemagne, ajoute-t-il, a toujours dépendu, depuis la naissance de la Duplice et l’entrée de l’Empire moscovite dans le système politique de nos ennemis, de la façon dont les conflits d’intérêts ont été traités et de l’attitude personnelle des négociateurs. Le danger pour l’Allemagne de trouver la Russie contre elle dans une guerre européenne ne date pas d’ailleurs de quelques dizaines d’années, mais de la fondation de l’Empire. » La duplicité de l’Allemagne à l’égard de la Russie est notoire. Après l’avoir dupée en 1878 au Congrès de Berlin, et avoir fait ratifier en 1884 à Skiernewicz l’alliance de 1870 et de 1882, elle a obtenu d’elle une neutralité bienveillante pendant six ans. Ensuite, après avoir entraîné la Russie dans les hostilités contre le Japon et dans les solennités du canal de Kiel, elle a monté le piège asiatique qui aurait pu ébranler l’Empire des tsars et encouragé aux aventures néfastes de la Mandchourie et de la Corée. Enfin, après s’être installée à Kiao-Tchéou comme rivale, l’Allemagne a fait conclure à sa rivale dans les Balkans un marché trompeur avec l’Autriche, et amené ensuite le triomphe du Japon, tout cela dans le dessein d’abaisser

  1. Dans un autre passade de l’édition nouvelle, le prince, citant à propos de l’Angleterre la réflexion de Machiavel qui recommande en politique de ne pas se lier à plus fort que soi. de peur d’être à sa merci, nous rapporte une remarque de Bismarck à Sybel en 1893 : « L’Angleterre est le plus dangereux ennemi de l’Allemagne. Elle se tient pour invincible et se figure n’avoir aucun besoin de nous. Elle ne croit pas encore l’Allemagne son égale, et les conditions de l’alliance qu’elle consentirait avec nous seraient de celles que nous ne pourrions jamais accepter. Dans toute alliance que nous signons, il faut que nous soyons les plus forts ! »